Journal éclaté

par Joachim Séné

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À bord

samedi 13 mars 2021

10 mars 2021

Le suspens n’a que trop duré. Et si je tenais un journal de bord plus précis de l’écriture de mon roman en cours, nom de code RRK ? — et tout de suite : roman ou récit ? Car je parle de personnes ayant vécu les actions que je veux décrire, et dont des enfants et petits-enfants portent encore le nom et peut-être la mémoire — et j’ai déjà dit ça (suivre le mot clé rrk), qui me tracasse beaucoup. Donc, si je voulais faire ça, et décrire vraiment comment j’avance, par quoi commencer ?

Tout d’abord, mon personnage principal a un nom. Je l’ai lu pour la première fois en 2018, peu après avoir déménagé à Noisy-le-Grand. C’est une rue calme et résidentielle qui descend vers le bord de la Marne. Sur le panneau, est écrit "Rue du Réseau Robert Keller, piratage d’écoute par les Alliés à Noisy". Mystérieuse indication que j’ai laissé dans un coin de ma mémoire, étagère Histoire. Mais l’an dernier, pendant mes promenades dans la limite d’une heure à moins d’un kilomètre de mon domicile, j’ai relu souvent ce panneau et cette fois c’est sur l’étagère imagination qu’est venu se poser ce nom. Et je me suis demandé Au fait, comment ils ont fait, ce réseau ? Ils ont piraté quoi, qui, comment ?

Alors j’ai cherché. Et j’ai découvert comme chapitre après chapitre une histoire extraordinaire, méconnue, et tout d’abord qu’il ne s’agissait précisément pas d’un réseau (de résistance) mais qu’ils n’étaient que quelques individus diligentés par le renseignement à pirater une ligne téléphonique souterraine à longue distance (puis une seconde) pour fournir à l’armée, puis aux réseaux des informations, sous l’étiquette de "Source K". C’est donc dans cette histoire que je suis entré, l’envie soudaine de raconter quelque chose sans rien inventer — pas strictement rien bien sûr — et plutôt en fouillant dans les archives, en essayant de suivre pas à pas les actions menant de la prise de décision à l’action, ce qui fait passer de "il faut faire quelque chose" à "je vais saboter", de "je vais m’engager dans une action résistante" à l’action elle-même et aux risques sur sa vie.

Un documentaire, que je n’avais pas vu, diffusé sur France 5 par hasard juste avant que je ne découvre la rue, montre bien ce que cette histoire a de romanesque. J’ai tout d’abord eu l’impression qu’il me suffisait d’écrire la suite des événements, et que j’aurais un roman palpitant, parfait. C’est presque ça, mais j’ai aussi découvert beaucoup de choses qui ne sont pas dans le documentaire, comment celui-ci fait fiction sans trop s’interroger dessus, et pose aussi quelques questions de lecture historique trop longues à développer ici et maintenant. Bref, c’est politique, avec des personnages à développer — et j’en ai déjà parlé car, encore une fois, ceci n’est pas, contrairement aux apparences, la première entrée de ce journal d’écriture.

En tirant tous les fils depuis l’intrigue principale, je devine combien d’intrications sont possibles entre l’Histoire, les personnages, le fond politique, la question de l’engagement ; et comment doser la fiction en me posant la question de l’éthique : jusqu’où en ajouter pour obtenir une matière romanesque ? Et c’est parce que je crois avoir trouvé que je peux écrire ici les noms, les lieux, les dates, révéler combien j’avance sans divulgâcher. Quelque chose a déclenché une compréhension de par quel bout prendre cette histoire, comment la construire, quelle forme spécifique donner au texte pour que ça me donne une bonne raison de l’écrire, surtout après mon histoire de fibre optique, je continue dans les câbles. Et un hasard incroyable fait commencer l’engagement de Keller dans la Seconde Guerre Mondiale à moins de vingt kilomètres du Village réel.

Et donc peut-être qu’écrire ici sur ce que j’écris [1] m’apportera des choses, par exemple les familles de Robert Keller, Laurent Matheron, Pierre Guillou ou Edmond Combaux peuvent tomber sur ces pages, et alors ce sont eux qui me trouvent plus facilement que moi perdu dans les méandres de recherche et d’archives, d’état-civil et d’hypothèques, microfilms et documents manquant à la numérisation — découvrir que si quelqu’un est arrêté par les Allemands, on n’a pas le PV d’arrestation par exemple, ça paraît évident après coup : les archives de leur police ne sont pas aux archives de notre police ; et donc très peu d’information, et se demander si quelqu’un a déjà été dans les archives nazies pour Untel ou Unetelle ? Est-ce possible ? etc. Il faudrait que je fouille un peu mieux dans la biblio de tous les livres de ma biblio pour savoir ça, mais je crois que j’ai trouvé presque tout ce qu’il est possible publiquement de trouver — parfois simplement "trouvé", par encore lu ni exploité— ou en voie de, ou encore loin de plus probablement ; quant au reste...


[1Dans le document de travail : un peu plus de 50000 caractères dans les brouillons, dont la moitié consiste en plans, indications, l’autre moitié est partagée à 50/50 entre une qualité "écrit presque fini" et une "écrit au brouillon" ; à cela on peut ajouter à nouveau 80000 caractères de notes et recopie de sources ; + une biblio.