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Armées des ombres

mardi 31 mai 2022

15 mai 2022

Je suis rentré, et le paysage politique en dix jours a changé, un parti a changé de nom, un autre est né, je ne comprends plus rien. Quelque chose ne change pas, la Ve république reste bien ancrée, protégée, et son fonctionnement autoritaire et sa démocratie éloignée de la population paraît devoir durer encore longtemps. J’avais noté d’autres choses sur la Grèce. Le tarif abordable des taxis. La présence d’humains aux guichets d’autoroute. Les portiques du métro raisonnables, qui ne sont pas des fortifications. Dans quelques rues autour de l’église San Panteleimon, des magasins de tous les pays, Bulgarie, Pologne, Bangladesh... Dans l’avion, un goblet de café nouveau, impossible à renverser.

Les Révolutions des siècles précédents, poussées par la famine pour défaire un ordre politique ; celles du 21e le seront-elles par les vagues de canicules meurtrières ? Se révolte-t-on quand sortir de chez soi (pour aller travailler car il y aura cette imprécation) menace de mort ?

Dans L’Armée des ombres, Joseph Kessel dresse des portraits de résistants et résistantes, à travers des rencontres faites par les personnages principaux, et de leurs récits, comme de micro-nouvelles. Je trouve que ce système se rapproche de celui que j’ai lu dans Des Îles, de Marie Cosnay [1], ce livre qui, dès lors, montre un peu, pour moi, L’armée des ombres contemporaine, ce qui se fait aujourd’hui de résistance, dans les lieux où s’exerce un totalitarisme bureaucratique, raciste, criminel. Et autant d’autres armées, dans l’ombre, des syndicats protégeant les ouvrièr.es aux militants pour le climat, quel Londres pour les unir ?

Extrait du roman de Kessel :

Comment cela s’est fait, je n’en sais rien, disait Gerbier. Je pense que personne ne le saura jamais. Mais un paysan a coupé un fil téléphonique de campagne. Une vieille femme a mis sa canne dans les jambes d’un soldat allemand. Des tracts ont circulé. Un abatteur de La Vilette a jeté dans la chambre froide un capitaine qui réquisitionnait la viande avec trop d’arrogance. Un bourgeois donne une fausse adresse aux vainqueurs qui demandent leur chemin. Des cheminots, des curés, des braconniers, des banquiers, aident les prisonniers évadés à passer par centaines. Des fermiers abritent des soldats anglais. Une prostituée refuse de coucher avec les conquérants. Des officiers, des soldats français, des maçons, des peintres, cachent des armes. Tu ne connais rien de tout cela. Tu étais ici. Mais pour celui qui a senti cet éveil, ce premier frémissement, c’était la chose la plus émouvante au monde. C’était la sève de la liberté, qui commençait à sourdre à travers la terre française. Alors les Allemands et leurs serviteurs et le vieillard, ont voulu extirper la plante sauvage. Mais plus ils en arrachaient, et mieux elle poussait. Ils ont empli les prisons. Ils ont multiplié les camps. Ils se sont affolés. Ils ont enfermé le colonel, le voyageur de commerce, le pharmacien. Et ils ont eut encore plus d’ennemis. Ils ont fusillé. Or, c’était de sang que la plante avait surtout besoin pour croître et se répandre. Le sang a coulé. Le sang coule. Il va couler à flôt. Et la plante deviendra forêt.

*

Je reste fasciné, dans les bistrots, du mot "café", prononcé par le client, qui devient "express" quand il est lancé à la commande par le serveur ou la serveuse. Et si je commande un "express", on me demande précision : "un café ?" Comme s’il y avait le vocabulaire du client, et celui des professionnels, réservé, et traduit.

Me replongeant dans mon téléphone plutôt que dans le ciel aux merveilleux nuages, je vois la barre de vie des humains devenus personnages de jeux vidéo, quand ça clignote rouge il faut vite trouver une prise où se brancher et attendre de pouvoir repartir dans l’aventure. Il me reste deux barres, vite, une prise !


[1Ici et .

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