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Chaîne du texte

samedi 9 décembre 2023

9 novembre 2023

Ne pas payer le camion qui transporte les livres, ce serait bien sûr scandaleux. Ne pas payer les correcteurices, les libraires, par qui passe le livre, c’est impossible.
Mais.
Imaginez.
Ne pas payer l’auteurice... ?
C’est possible, avec la chaîne du livre. D’ailleurs c’est un éditeur qui le dit. Un éditeur indépendant (en plus, serais-je tenté d’ajouter. Mais gros, c’est vrai), celui du Goncourt, Laurent Beccaria, invité chez France Q, dans la matinale.

G. Erner — C’est une drôle d’économie [...]la personne la plus importante, vous n’allez peut-être pas apprécié ce que je vais dire Laurent Beccaria, autrement dit l’auteur, est souvent quelqu’un qui a peu ou pas du tout de revenu dans les ventes de son livre.
L. Beccaria — Il y a trois éléments dans la chaîne du livre : l’auteurice, l’éditeur, et le libraire. Clairement. Un auteur ou une autrice met des mois, ou des années, pour écrire, pour faire une œuvre. Et dans une vie d’auteur, on va publier dix ou quinze livres. Et imaginer de pouvoir vivre uniquement de ses droits d’auteur, à son taux horaire, c’est seulement une poignée de gens qui pourraient y arriver. Même si on donnait 100% des droits, il faudrait qu’il se vende à beaucoup d’exemplaires pour ne faire qu’un SMIC. L’économie de la création est une économie difficile. Pour ça, il faut des bourses, des éditeurs qui croient vraiment en eux, suffisamment longtemps, pendant des années ils sont à perte sur leurs livres.
G.E — On peut donner des chiffres, un auteur il gagne combien sur un livre en % ?
L.B — Entre 10 et 15%, ou 20% sur les plus... Comme Jean d’Ormesson, mais généralement c’est 10, 12% ou 14% pour les plus confirmés. [...] Un livre il faut le fabriquer, le corriger, le promouvoir, tous ces gens ont des salaires, des loyers, tout ça
G.E — Bien sûr !
L.B — Donc, tout ça représente à peu près 20% du prix de vente du livre. Ensuite, il y a l’imprimeur, il a des machines, de l’encre, du papier, ça coûte de l’argent. A peu près 17% dans le camembert à peu près. On arrive à 50% avec cette partie là. Puis le distributeur, qui a des énormes entrepôts, et qui fait que vous pouvez commander un livre et l’avoir 2 ou 15 jours après, [...]vous voyez arriver le livre comme par magie chez vous. C’est des myriades de camions, de gens qui manipulent, etc. C’est une dizaine de %. Et puis vous avez le libraire, avec des marges de 40, 42% ou 32, 35 % pour les plus petits. On pourrait dire qu’ils ont la part la plus grosse de ce gâteau théorique. Mais ils ont des loyers, des gens qui manipulent des caisses de livres qui arrivent par camion, c’est un métier très physique, compliqué, les gens vous demandent des références énormes, etc. [...] Les marges de la librairie sont parmi les plus faibles de tous les commerces. Les marges de l’éditeur sont plutôt stables. C’est pour ça que les financiers s’y intéressent, parce que c’est stable les marges de l’éditeur, c’est pas génial comme l’économie des start-ups de la technologie, mais c’est stable. En revanche, les marges de l’auteurice c’est tellement variable, ça peut aller de zéro de moins je ne sais combien, si elle a passé des années à écrire son livre à des centaines de milliers d’euros pour les plus gros succès.

On le sait, les artistes n’ont pas vraiment besoin de manger.

Ensuite, Raphaëlle Leyris nous apprend qu’elle reçoit une vingtaine de livres en service de presse, chaque jour, qu’il faut lire tout ça, trier, mais aussi parler avec les éditeurices, les attaché.es de presse, mais pas les auteurices, ça elle le précise bien : auteurs, autrices, ne parlez pas aux journalistes ! C’est compréhensible, bien sûr, mais c’est aussi significatif, de l’avoir dit, je veux dire, comme ça, comme s’il fallait se tenir à l’écart des auteurices pour, en quelque sorte, parler business avec les adultes de la chaîne du livre : représentant-es, attaché-es de presse... Loin de la création pour se rapprocher de quoi ? Les critiques parlent souvent peu du texte, pour parler de ce que ça raconte, mais le style, l’écriture, presque jamais, ou pour dire que c’est "bien écrit", ou avec un qualificatif assez simpliste comme "écriture dynamique", ou "écriture ampoulée", il y a quelques formules pour varier, mais critiquer l’écriture est un exercice rarement lu, c’est plus facile et direct de parler du fond, c’est "bien raconté", il y a du suspens, on accroche, etc. Dans cette idée de recommander ou pas le livre, le but n’est plus de parler du texte, mais de savoir s’il faut le conseiller, si on l’a aimé ou pas ; comme un algorithme de recommandations de vidéo qui s’enclenche à la fin de la précédente.

Contre la chaîne du livre, ce serait quoi la chaîne du texte ?

On ne devrait classer les livres qu’en deux catégories : ouf et pas ouf, et distinguer ainsi ce qui est lisible de toute la zone grise, c’est-à-dire tout le reste. Cela nous épargnerait les formules éculées, les citations, les coups de cœur, les blurbs.
— Guillaume Vissac

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