Contre l’oubli

2 septembre 2023

Il y a la masse de livres nouveaux qui vient balayer l’ancienne masse, d’à peine un an d’âge, et qu’il faut déjà oublier, en tout cas si l’on en juge par les tables des librairies, les sommaires des critiques. Quelle proportion des indispensables de l’année passée s’est retrouvée au pilon ? Quelle proportion a été lue ? Combien reste, un an après, plus qu’un vague souvenir ? Qu’est-ce qui fait que, si immanquable il y a douze mois, il faille déjà quasiment tout oublier ? Il n’y a guère qu’Alain Nicolas, dans l’Humanité, pour revenir, comme cet été, sur d’anciens livres qu’il ne faut pas oublier. Car oui, ce serait plutôt ça, la critique : ne pas parler des livres qui viennent de sortir, voire ne sont pas encore sorti, mais parler des livres qu’il ne faut oublier. Et cela, à tout moment de leur vie, au moment où, justement, plus rien ne les offre à l’actualité, à la vue, à la mémoire. Un an après, un mois après, dix ans après, peu importe, parler, écrire et lire avec ce qui est important. Mais en écrivant cela, je tombe dans ce travers de "ce qui compte" — pour qui ? Pour quoi ? Quelle idée du goût est-ce là, encore ? Ne peut-on pas, aussi, prescrire le divertissement, l’éphémère, le commercial ?Je crois quand même que cette idée de lutter contre l’oubli, simplement ça, évite ce dilemme du goût (le bon goût, bon pour qui, selon quels codes, etc.) pour se recentrer sur le texte et rien que le texte, à travers le drame du temps et de l’oubli.

Je suis monté sur une haute cime
Je les ai regardées — masse compacte.
Par temps clair on distingue rocs et crêtes
Des arêtes qui voient passer les brumes
Et les déchirent les effilochant
Des vapeurs qui remontent qui se mêlent
Ce qui était au fond perce au-dehors.

— Les Montagnes du Sud, de Han Yü, traduit par André Markowicz (inculte, 2015)

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Dans un petit jardin, l’endroit le plus propice à enterrer l’animal décédé, est le même que celui choisi par des inconnus vingt ou trente ans plus tôt, on bêche sur le petit squelette, ça n’aurait pas pu être ailleurs, c’était là, ça se voyait, appelait, que voulez-vous, c’était l’endroit idéal.