D’écrire
dimanche 5 novembre 2023
2 octobre 2023
J’étais certain que le temps lui rendrait justice. J’étais outré de me retrouver associé à la scène shoegazing. Un mot revenait dans les chroniques, qui m’exaspérait particulièrement : "rêveur". Notre musique n’a jamais été avachie, assoupie, elle gardait toujours un œil ouvert, restait tendues, aux aguets. [...] Loveless avait vraiment une direction, j’ai porté cet album dans ma tête, exactement tel qu’il devait être, pendant des mois. Le problème a été de le coucher sur bandes[...] Sur la seule chanson To here knows when, j’ai passé plus de trois mois à jouer sur le feedback du clavier en fond sonore.
Pour L’Homme heureux, je pourrais reprendre, si j’avais un shoot d’orgueil et une postérité promise, les mêmes mots que Kevin Shields, qui avait conscience de devenir une influence, en enregistrant l’album Loveless, entre 1989 et 1991, avec son groupe My Bloody Valentine. Est-ce que je peux m’identifier ? On peut toujours s’identifier [1]. Quelle influence ai-je pu chercher avec HH ? Ai-je cherché autre chose que d’écrire un livre du mieux que je pouvais, le plus précis possible, en y passant le temps et en y mettant le travail qu’il fallait, sur 4 ans ? Cette question étrange de l’impact à la réception, d’un texte qui a besoin de plus que lui-même pour être, au moins, connu de qui pourra le faire connaître. Comme un tableau non exposé, que représente-t-il dans l’histoire de l’art ?
Benoît Loreau, des éditions de L’Ogre, à propos de Cordelia, la guerre, de Marie Cosnay :
Ce que vous ressentez comme une difficulté de lecture, je l’ai ressenti aussi, mais comme une différence et surtout une promesse.
(À lire sur le site d’En attendant Nadeau)
J’ai lu le livre de Marie au début de l’écriture de HH, quand je me battais avec une structure que je sentais venir, sourdre, il me fallait une brèche pour que l’écriture fasse irruption (oui, le volcan du livre [2]). Plus tard, j’ai écrit cette note de lecture sur remue. Il y a eu d’autres livres, pour HH. D’ailleurs, la plupart, pas tous, sont dedans, à la fin, et en italique dans le texte. Mais l’interview de Benoît synchronisée avec mes réflexions du moment, ça arrive. Il parle d’ailleurs de la diffusion, qui est "cruciale". Je pourrais toujours blâmer la diffusion. Je ne sais pas si je pourrais faire rééditer HH, je crois que les 100 lecteurices que j’ai eues est déjà pas mal, pas de quoi se plaindre avec un texte pareil. Si je pouvais, oui, je verrais bien ressortir au format poche, C’était, Village et L’Homme heureux. Comme un triptyque. Il y aurait forcément plus de lecteurices, mais peut-être pas assez pour assurer l’amortissement du coût de fabrication, pour le dire avec les mots justes. Quant au coût de production (temps réel passé à écrire, à penser, sur 4 ans), je ne sais pas comment le calculer. Le seul montant qui paraisse juste serait celui qu’il m’aurait fallu pour vivre sans besoin de chercher de l’argent, être entier dans le livre, pour le livre.
Quand j’ai envoyé V, bien qu’il n’y a, en apparence, rien de commun avec HH, je me disais que l’éditeur qui le prendrait recevrait aussi HH, parce qu’il pourrait le comprendre aussi. Pour V, on m’a proposé de grossir les traits, de souligner les personnages, de déployer une intrigue. C’était précisément n’avoir pas compris. Je crois que j’ai reçu 5 ou 6 refus argumentés, dont seulement 1 ou 2 avaient vu ce que j’avais voulu faire, ce portrait silencieux d’un village, sans vouloir tout transformer et perdre cet aspect. Brigitte Giraud, pour Stock, avait lu ce que j’y avais mis, et pas autre chose, puis proposé de retravailler le texte selon ce que j’avais cherché à écrire, car il y avait bien sûr du retravail, elle voyait la direction, et me conseillait sur ce chemin. Après cette réécriture, avant qu’un contrat ne me parvienne, les comptables avaient eu le temps de débarquer chez l’éditeur, récemment décédé, pour rompre les accords en cours, fermer les collections, faire des économies, et il m’a fallu chercher à nouveau. C’était le temps qu’il avait fallu à Publie.net pour se reconstituer, et Guillaume Vissac a lu V de cette manière-là également, Christine Jeanney aussi, et c’est donc Publie.net qui a reçu HH sans que je ne recommence toute une tournée d’enveloppes épaisses. Fun fac, Brigitte, Guillaume, Christine, dont je peux dire finalement, qu’iels ont édité V, sont non seulement éditeur et éditrices, mais aussi auteur et autrices. Coïncidence ?
Comment Shields pouvait être sûr de son fait ? L’interview est récente, il raconte une histoire, attention. Ou alors c’est ça, j’ai trop peu d’orgueil pour croire que ce que j’écris a une importance, même si je me le dis, tout au fond de moi, sinon je n’écrirais pas, mais je ne le dis pas assez à l’extérieur de moi. Je vois des auteurices qui font ça, ne pas hésiter à y aller, à se mettre en valeur, simplement parler, s’exprimer, et je ne dis pas ça d’une manière négative comme si je disais qu’iels cherchent "à se montrer" (ce qui arrive aussi), mais ont confiance dans le fait d’être là, confiance en elleux pour porter leur travail à un endroit où iels se disent qu’il doit être, ce qui est bien normal.
*
Tout cela me ramène au prochain livre.
Quand je termine un livre, bien souvent, un peu avant la fin, le prochain livre arrive. Ce n’était pas le cas pour RRK, arrivé plusieurs semaines après HH. J’étais sans doute tellement confiant pour HH d’être sollicité... Quel orgueil ! J’ai mis ça sur le dos du virus, du confinement. Là, le prochain est arrivé, le prochain texte. Il existe depuis longtemps en moi, mais je n’ai jamais trouvé le moyen d’en déclencher l’écriture. Un premier extrait, une première tentative, est lisible sur le site d’archives, ici, j’ai modifié la date pour le sortir de la patine numérique. Ce qui m’empêchait d’écrire ce texte sur Talk Talk, c’était la quantité de recherche à faire, de rencontres, de voyages, nécessaires pour écrire correctement cette session d’enregistrement. Mais qu’est-ce que les recherches m’apporteront de plus que ce que l’on en sait déjà ? Des anecdotes, des détails importants, la marque des micros, des amplis... Ce qui se passe, c’est que je viens d’écrire ce texte documenté, et il se passe en 1942. Je veux passer à autre chose. Entre temps, j’ai vu Get Back, de Peter Jackson, où l’ensemble de ces détails, vêtements, soupirs, phrases oubliées, sont présents. Et puis les articles des Inrocks sur Loveless, cet enregistrement qui a duré plus de 2 ans et failli ruiner la maison de disques. Et d’autres histoires de studio, d’enregistrement. Bref, quelque chose prend forme, et je veux l’écrire tout en me passant de documentation, comme par exemple écrire un an d’enregistrement studio d’un album fictif. La musique, c’est quelque chose que j’aurais voulu pratiquer, ou que je voudrais faire dans un univers parallèle où j’ai cette énergie, ce temps, le talent de créer un album complet, indie rock, et je vais peut-être, pendant l’écriture, passer ici des extraits d’albums qui ont été marquants pour moi.
Mais avant cela, il me reste une trentaine de page de RRK à écrire, peut-être quarante, il faut relire, et aussi la question du passé simple pour les scènes de 1942 écrites du point de vue des personnages, je me pose la question de tout reprendre au présent, finalement, après m’être convaincu que ce choix du passé était le bon, à contre courant. Enfin, je n’ai pas terminé.
*
Photo Steve Guillick/Domino : My Bloody Valentine en 1990 : Kevin Shields, Bilinda Butcher, Colm Ó Cíosóig et Debbie Googe.
[2] Ce fil sur Twitter rassemble quelques notes de bas de page absentes du livre.