Data war
samedi 16 août 2025
15 août 2025
Plus modernes que les drones pour faire la guerre, ce sont les données, et leur traitement automatisé en vue de la prise de décision : qu’est-ce qu’une cible ? Comment partir de données brutes de terrain pour en arriver à un tir ciblé sur un lieu ou une personne ? Reconnaissance faciale, méta-données [1], autant de ressources en quantité massive dont le traitement est aujourd’hui accéléré par la machine : IA et algorithmes.
Dans la suite des affaires commerciales ayant marqué l’évolution, le virage et l’hégémonie des plateformes sociales, comme Cambridge Analytica (société liquidée, mais effets persistants) pendant les élections du Brexit et de Trump 2016 ayant utilisé des données personnelles pour profiler les électeurices [2], Palantir est une société de la tech (j’en parlais en juin) qui joue un rôle majeur dans la guerre en Ukraine, et a même installé des bureaux à Kiev. La guerre en cours là-bas sert de terrain de jeu et d’expérimentation, et de preuve que ça marche aussi, aux sociétés privées de la tech, qui deviennent "les marchands d’armes d’IA du 21e siècle" (formule d’un conseiller de Palantir, Time, février 24). Pour l’Ukraine, c’est aussi un moyen de faire venir des technologies sur leur territoire, en prévision peut-être de devenir, après la fin de la guerre, la Silicon Valley des armes du futur. L’article de Leslie Dickstein et Simmone Shah relève aussi que c’est la première fois que des armes ou outils militaires ne sont pas créés par des États, mais par des sociétés privées, qui restent aussi les opérateurs de ces technologies [3]. Ces technologies viennent directement des années récentes de manipulation des données personnelles à travers les cookies, réseaux sociaux, smartphones, reconnaissances de formes, etc., et aussi des milliards de fonds publics et privés dont bénéficient les sociétés de l’IA depuis 2017. Dans L’Homme heureux/Détruire internet, je citais un ancien agent de la NSA disant qu’ils tuaient en se basant sur des méta-données. We kill based on metadata. Je ne connaissais pas, à l’époque, les balbutiements, alors, des marchés du comportement décris par Shoshana Zuboff dans The Age of Surveillance Capitalism, ni ce que Yánis Varoufákis explique au sujet de la rente de ce qu’il appelle le technoféodalisme [4]. Ce qui se construit depuis quelques années commence de plus en plus à être monstrueux de contrôle, d’autoritarisme, et d’appauvrissement généralisé.
Les responsables gouvernementaux ont été entraînés à utiliser MetaConstellation, un outil de Palantir qui exploite des données commerciales, notamment des images satellites, pour fournir une image en quasi temps réel d’un champ de bataille donné. Le logiciel de Palantir intègre ces informations avec des données gouvernementales commerciales et classifiées, dont des données alliées, qui permettent aux responsables militaires de communiquer au commandement sur le terrain les positions ennemies, ou de décider quelle cible frapper. Cela fait partie de ce que Alex Karp (PDG de Palantir) appelle la "digital kill chain".
[1] Les méta-données sont ce qui entoure la donnée sans être la donnée. Par exemple, pour une photographie, il s’agit de la date et heure de prise de vue, sa géolocalisation, la focale, l’ISO, le nom du fichier image, le poids de l’image... Mais pas l’image elle-même. Pour un coup de fil, c’est qui appelle qui, de où vers où, quand et combien de temps, sans l’enregistrement de la conversation.
[2] Jusqu’à 4000 paramètres "psychologiques" permettant de cibler des actualités, clips, images propulsées dans les flux Facebook des citoyen·nes, nous racontait le documentaire The Great Hack, sur le scandale.
[3] "This is the first time ever, in a war, that most of the critical technologies are not coming from federally funded research labs but commercial technologies off the shelf,” says Steve Blank, a tech veteran and co-founder of the Gordian Knot Center for National Security Innovation at Stanford University"
[4] The Guardian, 24/08/2023 : “Imagine the following scene straight out of the science fiction storybook,” Varoufákis writes. “You are beamed into a town full of people going about their business, trading in gadgets, clothes, shoes, books, songs, games and movies. At first everything looks normal. Until you begin to notice something odd. It turns out all the shops, indeed every building, belongs to a chap called Jeff. What’s more, everyone walks down different streets, and sees different stores because everything is intermediated by his algorithm… an algorithm that dances to Jeff’s tune.”