Désécrire
lundi 6 novembre 2023
6 octobre 2023
L’idée est sans doute excellente, d’écrire sur la musique, mais ce n’est qu’une idée. Il faudrait l’écrire, vraiment, au moins un peu, un peu mais plus qu’un premier chapitre qui n’en est pas un. Hier, c’était l’Idée. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est la Mauvaise idée. Mais c’est simplement parce que j’ai réfléchi avant d’écrire. C’est ça, la mauvaise idée.
J’ai besoin de temps entre un élément et son écriture, entre un souvenir et son ressouvenir. Parfois, c’est une voix, venue de mon enfance, de mon adolescence, de très loin, qui me revient, quelqu’un m’a dit quelque chose, et là, ce soir, ça m’empêche de dormir. Ou alors c’est moi qui ai dit quelque chose à quelqu’un, de déplacé, il y a dix ans, trente ans, et ça me travaille, là, quelques minutes, je n’y pensais plus, bien sûr, mais le souvenir est remonté comme ça. Comme si, aussi, j’avais tout mémorisé, de ma vie, la moindre minute, mais sans avoir accès permanent, heureusement, pour ne pas devenir fou, mais simplement un accès aléatoire, comme tout un chacun, j’imagine, ça arrive, peut-être plus ou moins souvent selon qu’on est plus ou moins angoissé par nature, enfin tout cela est déjà assez perturbant, bien que très temporaire. Je ne crois pas avoir utilisé ça pour écrire, ces phrases, ces humiliations, vengeances, méchancetés, hontes diverses. Mais j’ai déjà essayé d’invoquer cet accès aléatoire, pour faire revenir un moment du passé, en écrivant V, par exemple, tel chambre, tel jardin, telle couleur, texture, etc.
Avant d’arriver en vue des vastes plages de sable fin, la voiture traverse l’immense plaine flamande, les champs et les prairies. Le vent transforme les blés en vagues ondulantes, caresse les oreilles des bovidés paissant dans le vert. En alternance, la pluie et le soleil arrosent la terre alluvionnaire, faisant grossir ensemble les betteraves à sucre et les bintjes à frites.
Près de la route côtière, entre La Panne et Ostende, les vaches regardent les autocars de touristes. Dans les estaminets campagnards et les fermes basses, des hommes joviaux sont attablés devant une bière blonde ou un petit verre de genièvre. Pêcheurs et cultivateurs parlent lentement en regardant tourner les ailes des moulins et les pales des éoliennes.
Les mangeurs de pommes de terre de Vincent Van Gogh font la queue sous les néons jaunes au comptoir du Fish & Chips. Les paysans bottés pataugent dans la boue ou dans la mer, ramassant les patates ou les crevettes. À la cafeteria du PMMK, Constant Permeke, Paul Delvaux, Léon Spilliaert et Marcel Broodthaers font une partie de cartes. James Ensor les observe.— Lucien Suel, "Mer du Nord", in Dérives dans l’espace temps. Éditions QazaQ (mais le site Qazaq n’existe plus ! Rien que le blog.)