Dette
mercredi 2 mars 2022
28 février 2022
L’esprit, le corps, la vie même occupée par ce qui se passe, porosité au monde, même lointain, jamais lointain. Chercher à comprendre, se demander quoi faire. Et déjà, quoi comprendre. Difficile de se faire une opinion sur les sanctions à l’encontre de la Russie, sur la réponse militaire, sur le fait que l’Ukraine pourrait être libre, sans OTAN, ni Russie, ni UE, et pourtant être aidée, gratuitement. Mais avec les capitalistes, rien n’est gratuit, surtout pas l’argent magique [1]. Il y a quelque chose qui me gêne dans le fait d’avoir à suivre les armées qui répondraient à Moscou, suivre Macron dans cette voie par exemple, si ça se produisait, je ne veux avoir à signer ce pacte, qui mène à détruire des vies simplement parce que c’est la guerre et qu’il faut jouer au plus fort, et mène dans la voie de la dette, sachant que des deux côtés les populations seront touchées, comme dans le même mouvement. Je n’oublie pas que ce sont les riches qui se font la guerre, pour les ressources, le territoire ou la gloire, et tout à la fois. Or, cette dette nouvelle, comme pour l’argent créé pendant la pandémie, comme celui créé après 2008, liquidités sur les marchés financiers pour augmenter les capacités de financement des intérêts privés, il faut bien payer au bout d’un temps : et c’est par le travail, l’austérité, la politique anti-ouvrière bien connue, comme pour s’assurer qu’elle puisse exister pendant des années, des siècles. Et puis, je vois ceci :
Arrêter la guerre, mais comment le faire sans répondre par la même ? Comment répondre aussi contre nos dirigeants ? Contre ces directeurs d’usine, qui sont aussi comptables, difficile de choisir la réponse adaptée, en tant que "peuple" [2] et pour un autre peuple, chacun libéré de sa classe capitaliste-dirigeante ; mais comment faire quand les missiles tombent sur des civils, là, maintenant ? La réponse institutionnelle et guerrière parait efficace, sûre, rapide. Parce qu’il est trop tard ? Sans doute n’est-il jamais trop tôt pour une grève générale et internationale. Grève ici, grève en Ukraine, grève en Russie ? Comment le peuple occupé souhaite-il s’organiser ? N’est-ce pas en arrêtant la production partout qu’il se passera quelque chose qui, non seulement arrêtera la guerre, mais commencera à faire tomber le régime capitaliste qui en est à l’origine ? Une Révolution, en somme. Sans doute rêve pacifiste que voilà, mais je ne sais rien faire d’autre.
Brutale réalité qui, à la fois, me sort et me met, dans RRK, où je me demande, je l’ai déjà dit : qu’est-ce que s’engager, engager son corps, risquer sa vie, quand on est, par exemple, technicien ou ingénieur télécom, en temps de guerre ; et bien sûr plus largement, mais mes personnages principaux sont ceux-là, et j’ai moi-même été ingénieur, donc. Dans HH, j’écrivais "mes rêves sont sans fusil" ; or, la guerre n’avait pas quitté le monde, simplement elle s’était éloignée de moi, d’ailleurs dans le roman je croisais des mitraillettes dans la rue. La question prend de plus en plus de place : qu’est-ce que s’engager.
Une page d’HH :
— la vérité c’est que le temps d’écrire ce texte, sur à peine quatre années, les meurtriers se sont multipliés sur la scène et on les croise dans la rue — et on ne peut rien en dire parce qu’on est trop jeune, on n’a pas connu : mes rêves sont sans fusil, mes parents étaient enfants pendant la guerre — le souffle du témoignage faiblit — au bureau les langues se délient mais personne ne veut entendre ça pour le moment, alors personne ne répond — Neruda a été enterré quatre fois — son corps numérique depuis a été d’abord fantôme puis présence éparse, il se répand enfin sur les réseaux qui recréent tout le passé des hommes à mesure qu’augmente la surface de leur toile sur la terre et sous les mers — le vieux siècle des meurtres n’est pas assez loin, les témoins sont encore là assistant au retour de ce qu’ils ont vu, comme si leur mémoire leur jouait des tours, mais non, c’est un fait réel sous leurs yeux, et un autre, et un autre, et encore un, et la ségrégation aux États-Unis ils ont connu — et un matin, un président semble élu, et un homme noir de 35 ans se réveille, sort de chez lui et sa façade est taguée : Nigger, Nigger — et les tortures en Turquie ils ont connu, et les tortures au Brésil ils ont connu, et de la cendre des morts renaîtront les fascismes que les vivants n’ont pas su balayer mais simplement cacher sous le tapis, les droites restent les droites, il n’y a pas de République — le poète a été enterré quatre fois — la longue nuit dure moins qu’un jour
[1] Qui n’est pas magique mais tout simplement le système depuis les années 70, nous vivons dans le sytème établi de la dette (voir cette vidéo) et tous les pays qui y participent possèdent une dette publique important, ce n’est pas quelque chose d’anormal, c’est tout simplement le programme, ce n’est pas une "mauvaise gestion", ce n’est pas parce que tel pays est "mauvais élève", non, c’est un système qui s’entretient, et prévu ainsi.
[2] si l’on peut définir ainsi l’ensemble des citoyens d’un pays sauf ses dirigeants, sauf ses propriétaires de capital ; travailleurs et travailleuses dirait-on.