Divine formation

13 juin 2025

Je détruis plusieurs centaines de sépultures d’un coup de balai, puis passe le balcon à l’eau vinaigrée, et au bicarbonate de soude. C’est tout un pan de l’histoire de cette colonie de fourmis qui est effacé en quelques minutes d’une violence absolue. Après mon passage, je ne sais pas ce qu’il leur restera de ces jours historiques, ce que leur mémoire conservera du site qu’elles édifièrent et du cataclysme qui les frappa.

Deux types souriants, charismatiques, font la queue chez Paul. La quarantaine, allure sportive, habillé décontracté, un Blanc, un Noir, discutent comme on le fait quand on se connaît peu, dans une file d’attente. L’un demande si l’autre avait déjà fait la formation, et quand est-ce qu’il a "rencontré Dieu et son Onction". Je me demande si j’entends bien. Je pense d’abord à un trait d’humour, il s’agit peut-être d’une formation aux "fonctions", et "Dieu" serait, je ne sais pas, Martin Fowler ? Mais non, après une recherche, je trouve l’École Internationale de Formation à l’Onction Charismatique qui propose justement un "cursus" à Neuilly-Plaisance, juste à côté donc, de janvier à juillet. D’après cette école, j’apprends que le mot ne désigne pas seulement une huile, mais la manifestation ressentie par le ou la croyant·e de la présence divine en lui ou elle par des signes physiques. La formation n’est donc pas consacrée aux massages à l’huile, mais aux prières promettant de ressentir quelque chose de transcendant, la présence de l’Être. En parcourant d’autres sites web, je découvre que certaines églises, toujours dans le 93, proposent des sessions de guérisons et de délivrance. J’avais déjà vu ça à Gennevilliers ou Villeneuve-la-Garenne, des gens remplis du Saint-Esprit qui promettent la guérison en musique et prières dans des salles municipales.

La conversation se poursuit, mais je n’entends pas tout. "Les esprits", "la manifestation de", "tu l’as rencontré combien de fois", "tu peux faire la paix avec toi", beaucoup de dates assez précises aussi ("juin 2017", "septembre 2013"...), "intercéder", "spirituel", "on a beaucoup en commun", "tu sais, l’amour de dieu, okay"...

Une guerre masculine [1] enfle. On tue encore. On tuera. Ici, là-bas, partout. Des syndicats essaient de bloquer le matériel militaire sur les tarmacs. L’algorithme de X-Twitter semble effacer encore davantage les voix à gauche et les voix pacifistes, je ne vais plus sur la plateforme, que t’es rarement, voir si un message m’a été laissé. Il n’y en a pas.

Le mot même de Révolution est banni depuis les années 70.

Il est aujourd’hui possible d’acheter une voiture jaune avec karaoké de série. Je le vois sur une publicité animée diffusée sur grand écran vertical.

C’est pas encore aujourd’hui qu’on va sauver le monde.