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Exode numérique

mercredi 15 janvier 2025

détail du tableau mentionné dans l'article, mais on voit surtout le bois doré du cadre orné de serpents entremêlés.
 

15 janvier 2025

Après les décisions récentes de Mark Zukerberg de lâcher prise sur la modération et abandonner le fact-checking sur Facebook, afin de laisser le champ libre à ce qu’il appelle le "free speech", et après avoir déclaré son désir d’un retour de la culture masculine dans l’entreprise "culturellement castrée", car il pense que le fait d’avoir "une culture qui célèbre un plus l’agression" possède "des atouts qui sont vraiment positifs" [1], une nouvelle vague d’exode [2] arrive sur les réseaux alternatifs, éloignés du modèle algorithmé et commercial de X et FB : BlueSky et Mastodon.

BlueSky et Mastodon fonctionnent sur des architectures et philosophies différentes des RS commerciaux.

Pour illustrer, il faut voir le mail, grâce auquel il est possible de communiquer de serveur à serveur : de alice@gmail.com à bob@univ-ville.fr ou carole@corporate.co.uk ; on peut s’écrire, recevoir des messages, car tous les serveurs partagent le même protocole technique, depuis 1971, et qu’Elizabeth II a utilisé dès 1976 ! Ça n’a pas beaucoup changé depuis, question d’interface principalement, mais le mail n’est pas une technologie centralisée avec une poignée d’acteurs monopolistiques.

Pour les RS, ça a toujours été différent. Il est impossible de suivre quelqu’un sur X depuis Facebook, ou quelqu’un d’Instagram depuis YouTube. Ce sont des mondes centralisés, cloisonnés. Et ils sont deux ou trois.

Mastodon fonctionne avec l’idée que n’importe qui peut installer un serveur (une "instance") et l’administrer, et qu’il soit possible de suivre et être suivi par des comptes d’autres instances. Je suis sur Piaille @jsene@piaille.fr et je peux communiquer sans souci avec Julien d’Abrigeon qui est @notbillythekid@mastodon.art, ou Gaëlle Théval est @gaelletheval@mastodon.art. Pour y parvenir, depuis l’instance où je suis inscrit, je cherche leur @@, leur double-at : au lieu de chercher @notbillythekid [3] je cherche @notbillythekid@mastodon.art tout comme je dois écrire l’adresse email complète pour écrire à quelqu’un. Il existe de nombreux serveurs/instances Mastodon, que l’on peut choisir comme on choisit son mail, et un peu différemment aussi : par affinités d’intérêt, de réseau relationnel proche, etc.

BlueSky utilise un autre protocole que Mastodon, mais avec la même idée de pouvoir communiquer d’un serveur/instance à l’autre. Récemment, un appel à financement a été lancé par FreeOurFeed, qui sera en lien avec BSky. Cependant, les réeaux basés sur BSky et les réseaux basés sur Mastodon resteront cloisonnés. Pourquoi BSky n’a pas choisi la même architecture que Mastodon ? Ce n’est pas qu’une différence d’interface graphique. Sans doute pour un aspect commercial, pas encore présent mais sous forme d’une vision à long terme qui, un jour, peut-être, nous décevra ? En tout cas, pour le moment, ce sont les RS devant lesquels on se trouve, et l’exode se poursuit. La potentialité de toxicité liée à la société elle-même n’en est pas exclue, mais les façons de présenter le contenu (chronologique, sans algo forceur) de modérer, de fact-checker peut s’avérer différente, meilleur. On pourra noter que ces deux derniers points sont paradoxalement plus avancés sur BSky que sur la plupart des Mastodon. Une administration locale, décentralisée au point que quelques individus sont responsables d’un grand nombre d’utilisateurices peut aussi être un problème (ou plusieurs : modération, survie dans le temps...) par rapport à une organisation importante comme BSky... Et puis, ça reste des RS, où peut-être d’insolubles problèmes systémiques liés aux effets de masse, finiront toujours par pourrir le reste.

Pendant ce temps, beaucoup restent sur FB. Comme je le disais ici, nous sommes retenus par des éléments affectifs qui nous lient aux personnes que l’on connaît sur ces réseaux, ou par des liens professionnels... Quelqu’un disait : "Nos amis et nos communautés sont sur des réseaux sociaux nocif parce qu’ils s’aiment plus les uns les autres qu’ils ne détestent Musk ou Zuck".

Chacun·e a ses raisons, il n’est pas question de juger. D’autres rechignent à quitter la quantité de texte qu’il est possible de publier, et pour laquelle recevoir des "likes" immédiats et des marques d’attention marquées par un signe rouge comme le danger qu’on ne peut pas ne pas voir. Attention, là, je vais juger un peu (en m’incluant, car j’y suis passé !).

BSky limite à 300 signes, Piaille à 666, et c’est 500 sur la plupart des autres Mastodon. Les poseurs de pavés dont je parle [4] semblent avoir quelques difficultés à envisager la pose de carrelage de 300 signes ailleurs (on peut créer des "fils", ou threads, de plusieurs publications reliées). C’est oublier la possibilité du blog, du site. Avant les RS, c’était ça : blog, site, forum éventuellement. La dynamique y est très différente, plus lente, moins rétributrice en réactions immédiates. Il existe encore des blogs, heureusement, et peut-être que ces exodes en feront fleurir d’autres. Un blog, un site, est un endroit à soi, où l’on maîtrise sa propre modération (on peut même la bannir complètement, comme je le fais ici, sauf sur cet article, me suis-je dit, on verra pour les suivants), où les interventions sont différentes, parce que les commentateurices se sentent ailleurs que dans une zone de non-droit typique des RS, on est chez l’autre, je ne sais pas, quelque chose de cet ordre, qu’il me plairait de voir revenir. Ici, je dépose autant de pavés que je veux et si ça ne plaît pas, personne n’est obligé de le voir, de rester, de commenter, et à l’inverse si quelqu’un m’emmerde, je le vire sans me poser de question.

Évidemment, avoir son site à soi, qui est un confort, une zone de liberté, est aussi une contrainte technique, un coût. L’hébergement (la zone disponible où écrire les données : images, base de données) et le domaine (la simple adresse web d’accès) sont deux choses qu’il faut payer, il faut compter à partir de 50 € par an, si l’on fait tout soi-même. Pour le reste, conseil, développement, gestion de l’hébergement, je peux aider bien sûr.

Est-on à une charnière de l’histoire du web ? Et demain, y aura-t-il plus, ou moins, d’ordure ?

 

Photo : détail d’un tableau de John Martin, Pandemonium, 1841 (huile sur toile, musée du Louvre, Paris)

Notes

[2La première venue de X au moment où j’écrivais ceci à ce sujet.

[3Chercher le simple-at va me donner le compte de ce nom sur mon instance Piaille.fr, comme un raccourci de @compte@piaille.fr, quand je suis sur Piaille je cherche @compte

[4Il faut bien reconnaître que ce sont des hommes, à 80% minimum, qui aime ainsi occuper l’espace, fut-il numérique, et je m’y mets au nombre, je dois dire, j’ai déjà posé des pavés !

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Messages

  • Billet intéressant qui couvre tout le spectre de l’expression de soi sur les internets. Blogueur avant d’être sur les réseaux sociaux, j’ai toujours gardé un blog sous le coude pour plein de raisons (gymnastique régulière de l’écriture et de la réflexion, l’un alimentant l’autre et vice versa). J’ai supprimé tout Meta. Et je recentre le plaisir sur les blogs et bluesky. Bonne soirée :)

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