Guéguerre
jeudi 19 juin 2025
18 juin 2025
Le soir, l’air ralentit, les martinets virent, piquent et vrillent avec leur cri de fifre vibrant. Dans le ciel, ici, on voit plus d’avions que d’oiseaux.
La guerre, c’est dégoûtant, ça a un goût de métal et de tissu vert, tissu sur tout le corps, le corps fragile, un rien le transperce et ça fait trous rouges au côté droit, 223.000 morts en 2024 mis en data, une ONG cartographie les zones de conflits, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, jamais autant de pays impliqués dans le meurtre légal de masse, on vit dans un monde de loi du plus fort, c’est rentable la guerre, ça a un goût dégueulasse de percuteur glissant dans la culasse, de records de vente d’armes dans le monde, c’est une affaire qui tourne, qui sent le mec, le mec viril qui tape du poing sur son adversaire, goût de cette sueur là, de vieux gars qui gueule qui tape qui viole qui tue et tout colonise, sur la planète l’illégal est légal, et la morale est moquée, les généraux de la guerre masculine ont toujours une bonne raison, un jour c’est la dictature, un jour la démocratie, un jour dieu, un jour le même dieu mais autrement, une ONG surveille la paix de la guerre pour établir un rapport sur la stabilité économique mondiale qui est la paix pour les pays riches et le contrôle total des pays pauvres, la paix est un vecteur de durabilité développementique, la guerre est l’outil de l’ajustement, la guerre c’est la guéguerre c’est le goût du meurtre, mais pas seulement, c’est le goût de briser la société, la morale, la liberté, c’est le rite du totem-drapeau érigé en constitution sacrificielle, c’est frapper la matraque de l’autorité sur les nuques indépendantes, c’est couler le métal brûlant de la droiture dans les gorges dissonantes, on n’en revient que mort ou marqué à vie par l’horreur, zombifié, et en zone de conflit, quelque soit son côté, il faut continuer d’aller au turbin, sous-payé, vite-viré, tout est bon, tuer ou se défendre, pour passer une réforme, la grande loi du marché, mort ou vif, c’est presque comme si la guerre était partout, tout le temps, entre la fiche de paie et la décision X du Sénat, entre l’urne et le projet de loi de finances, la guerre toujours tapie dans l’ombre prête à bondir, organisée, prévue et financée, un état de possibilité permanente, un mirador pour la lutte de classes, un interrupteur à actionner.
Alors le vent de la guerre, plus mauvais que le cyclone de 1928, dérailla l’Europe...
— Gisèle Pineau, La Grande drive des esprits. Le Serpent à plumes éditions, 1993.