Guêpe
samedi 15 janvier 2022
7 décembre 2021
En lisant Ponge, La Rage de l’expression, "La guêpe" :
La guêpe est tellement stupide — je le dis en bonne part — que si on la coupe en deux, elle continue à vivre, elle met deux jours à comprendre qu’elle est morte. Elle continue à s’agiter. Elle s’agite même plus qu’avant.
En lisant Malevil, de Robert Merle — que j’avais toujours cru Américain, sans doute à cause de La Mort est mon métier, que je ne pensais pas pouvoir être écrit par un Français, à l’époque où j’ai aperçu la quatrième de couverture du poche (sans lire le livre, je me pensais trop jeune, quel âge, dix ans, douze ans), persuadé que seul un Américain pouvait écrire sur la Deuxième Guerre Mondiale en étant dans la tête d’un nazi, d’où pouvais-je tenir une telle conviction ?—, en lisant Malevil, publié en 1972, il a un passage sur l’été 1976 qui me marque, car il est écrit dans livre qu’il est particulièrement chaud. Or, l’été 76 fut exceptionnellement caniculaire. Plus loin, je m’amus de cette phrase :
Il avait une conception urbaine de la politique et poursuivait en secret un rêve centriste. Avoir un pied dans chaque camp et se faire élire par la gauche pour gouverner avec la droite. Mais à Malejac, nous n’étions pas si pervertis.
Et page 74, le personnage qui est en 1977 pense à la pollution et aux catastrophes du futur à venir, d’ici "quarante ans".
J’ai poursuivi ma lecture puis arrêté. Pour qui connaît le livre, je peux dire que je ne savais rien du basculement à venir. Ce qui m’a fait lire, c’est le début, très percutant, sur Proust et la mémoire, et les quarante ou soixante premières pages, pas seulement pour le suspens qui annonce on ne sait pas quoi mais laisse une attente, aussi parce qu’elles sont très tenues dans le rythme, dans les phrases, très modernes, ou intemporelles, et ensuite c’est comme si ça se relâchait, le style me fait retomber dans l’époque d’écriture par des facilités de langage, et je ne parle pas des régionalismes qui donnent le ton aux personnages, non plutôt une langue qui, pas assez resserrée sur le nécessaire à dire, sans abandonner des spécificités qu’elle peut avoir comme dans le début où tout est très évocateur, à la fois précis et détaillé, ce n’est pas que j’attende un minimum de mot ou des phrases courtes — je parlais de Proust justement — mais des phrases qui, à l’épreuve de quarante ou cinquante ans me paraissent avoir été écrites aujourd’hui. C’est peut-être ça, la fameuse recette du classique [1], du livre qui reste, c’est que quelque soit l’époque à laquelle on le lit, il paraît actuel dans sa langue, avec ses raisons, son fonctionnement interne. De Rabelais à Proust, de Flaubert à Duras, autant de langues différentes mais tellement travaillées et tellement denses de leurs nécessités, épurées des clichés (car sans doute un cliché est-il toujours trop dans son époque), qu’elles tiennent, qu’elles tiendront toujours ; quelque chose comme ça.
[1] on peut rêver