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Hommes sexisme

mercredi 25 mai 2022

 

17 mai 2022

En lisant Le sexisme une affaire d’hommes, de Valérie Rey-Robert, publié chez Libertalia en 2020.
Cette scène, j’ai vécu à peu près la même :

Je me suis ainsi retrouvée face à une vendeuse indignée que j’achète à un futur nouveau-né mâle une grenouillère rose. Le vêtement était celui qui me plaisait le plus dans la boutique, je doute que le bébé se soit beaucoup soucié de la couleur de ses vêtements, mais visiblement cela choquait profondément la vendeuse sans qu’elle puisse en formuler exactement les raisons. Il semblerait qu’il soit nécessaire de différencier le plus rapidement possible les garçons des filles car sinon… on ne sait pas ce qu’il pourrait arriver, mais cela serait apparemment grave.

Et de ce garçon qui, en CP, a dû renoncer à ses baskets roses. Je n’ai pas réagi sur le moment, ou plutôt, si, j’en ai parlé au conseil d’école, mais face au peu d’importance accordé à la situation, je n’ai pas cherché à insister. "Il n’y a pas de problème de sexisme dans notre école, ça va ici", voulant dire que, globalement, personne ne se plaint, ce n’est pas pire dans la cour qu’à l’extérieur, dans la société, il n’y a pas de cas de harcèlement, et il y a d’autres urgences sociales et de moyens à traiter avant de s’occuper des baskets roses d’un petit garçon qui a de bons résultats scolaires. C’était pourtant, je m’en rends compte, un cas de harcèlement, ou un cas d’une sorte de harcèlement, considéré "pas grave", "pas important", car il ne s’agit que d’un vêtement, que dans la cour tout le monde est habillé pareil maintenant, ça ne se "voit" pas, et même la victime s’est accommodé de cette norme sociale, des baskets grises, tout en continuant de porter ses baskets roses les jours où il n’y a pas école. Une autre façon de le dire : après tout, n’était-il pas tout à fait normal de voir s’imposer la norme ?

Que penser d’une société où un enfant de 5 ans est harcelé pour du vernis sur les ongles et où un autre se force à opter pour des loisirs qu’il déteste ? [1]

Oui, c’est pourtant un élément, parmi d’autres, de la culture sexiste, qui provoque les cas de harcèlement qui sont le reflet, la conclusion des injonctions, insistant sur ce qui est la norme, les préjugés pouvant s’établir silencieusement et progressivement pendant toute l’enfance, des baskets roses, à "tu te bats comme une fille", aux insultes homophobes, lancées au début sans trop savoir ce que ça signifie ; tout participe à ce que Valérie Rey-Robert appelle "des processus de socialisation". Le titre du livre incitant les hommes à prendre leur part dans ce combat contre le sexisme, mais aussi contre la virilité, et leurs dangers.

Les vêtements à messages sont régulièrement dénoncés pour les stéréotypes sexistes qu’ils arborent. En Belgique, une marque a récemment été épinglée pour avoir créé des tee-shirts pour garçons portant des inscriptions comme « Tellement génial » ou « Amazing » pendant que ceux pour filles arboraient comme messages « Râleuse » ou « Débordée, j’ai ma chambre à ranger ». Les enfants sont donc, par le vêtement, socialisés différemment mais aussi hiérarchiquement. Là où le garçon est vu comme génial, la fille est considérée comme râleuse. Pris isolément, ces exemples semblent évidemment anecdotiques et sans grande influence, mais ajoutons-les à l’ensemble des processus de socialisation et nous voyons bien qu’ils participent, à leur échelle, à l’intériorisation de préjugés sexistes

L’autrice démontre que la "façon de devenir un homme", "évolue selon les époques et les pays", en mentionnant "certains portraits de Louis XIV, où il est lourdement perruqué, juché sur des chaussures à talon avec des habits richement brodés et un maquillage prononcé". En ce début de 21e siècle, on apprend à être un homme autrement, et en France de manière différente qu’en Corée du Sud où des exemples sont donnés d’hommes qui expriment leurs émotions d’une manière qui paraîtrait déplacée, outrée, en France, où les hommes sont censés cacher leurs émotions, ne pas pleurer, ne pas en parler, etc. Les conséquences de cet apprentissage touchent la vie intime, et l’empêchent :

La psychologue états-unienne Niobe Way a étudié le comportement de garçons lors de leur première année de lycée ; ils partageaient alors des sentiments, des confidences très intimes et des secrets avec les amis dont ils étaient inséparables. À la fin du secondaire, ce type d’amitié n’était plus possible car réservée, selon eux, aux femmes et aux gays ; ils apprenaient alors à être seuls et à ne plus partager leur intimité et leurs fragilités. Pour la chercheuse, cela qualifiait le passage à l’âge adulte et à l’état d’homme. Entre 25 et 55 ans, les femmes ont des amitiés plus profondes, plus durables que les hommes. Là où les femmes échangent sur leurs sentiments, leur vie personnelle ou leurs problèmes, les hommes partagent sur le travail, le sport ou l’aide matérielle (comme une aide en informatique par exemple). [...] Pour les hommes, toute faiblesse est ressentie comme honteuse. Les hommes ne vont donc pas demander d’aide lorsqu’ils en ont besoin, y compris à leurs amis proches. Là encore, l’homophobie est importante, puisqu’il est difficile pour un homme d’être très proche d’autres hommes par crainte qu’on pense qu’il est homosexuel.

La conclusion est connue, et toujours aussi glaçante : les conséquences psychiques du "fait d’avoir été socialisé comme un homme [rendent] le taux de morts par suicide supérieur chez les hommes." Comme toujours chez Valérie Rey-Robert, le livre est documenté, sourcé, très clair et précis [2]. Pas seulement, le suicide, mais les comportements dangereux, comme conduire vite, prendre des risques dans un sport extrême, etc.

Un sondage a posé la question suivante : « Au cours des trente derniers jours, avez-vous fait quelque chose de risqué pour le plaisir ou par défi ? » 19 % des garçons et 9 % des filles interrogés ont répondu par l’affirmative. Les prises de risques les plus transgressives (comme faire un excès de vitesse en véhicule) sont davantage commises par des hommes jeunes. Les prises de risques sont genrées : les jeunes filles adopteront des conduites silencieuses, comme les troubles du comportement alimentaire, l’automutilation ou les tentatives de suicide par absorption de médicaments. Les garçons sont plus expressifs dans leurs prises de risques, en consommant des drogues ou de l’alcool, en se livrant à des excès de vitesse. En 2015, les hommes représentent 85 % des conducteurs tués sur la route et plus de 80 % des auteurs d’accidents mortels.

Le résultat terrible d’une éducation où l’on s’attend à ce que les garçons "transgressent les normes sociales", et des filles qu’elles aient un "comportement plus soumis, plus obéissant". Ce qui est flagrant au collège, d’après le travail de Sylvie Ayral dans son livre La Fabrique des garçons. Sanctions et genre au collège (PUF, 2011), avec "les punitions infligées aux garçons[...], ils étaient punis, mais leur comportement était justifié par le fait que « les garçons sont comme ça » et « qu’il faut bien que jeunesse se passe »" :

Tous les professeurs interrogés ont des stéréotypes clairs au sujet des garçons et des filles ; c’est la testostérone qui fait agir les garçons ainsi, ils sont « comme ça », ils sont plus turbulents que les filles, la puberté incite les garçons à devenir agressifs. Bref, d’un côté on condamne par la punition leur agressivité, et de l’autre on la valide.

Toute la violence de cette éducation, bien souvent involontaire (exemple pris dans ce dont j’ai été témoin : la directrice de maternelle qui salue la beauté des petites filles en robe de princesse à l’entrée le matin) mais pas toujours (et aussi : le jour de l’intégration en maternelle, ce papa qui interdit à son fils de jouer aux poupées), et tellement ancrée, tellement présente, partout tout le temps, sous forme de "vannes" également, "on se charrie", sous forme de communication informelle, est très difficile à démêler, à faire remarquer, on devient le chieur de service etc.

Et à propos de cette violence, dans son précédent essai, Une culture du viol à la française [3], Valérie Rey-Robert présentait le lien entre cette culture viriliste qui est la nôtre, et le nombre de viols commis à plus de 98% par des hommes. Comme elle le remarque, les "violences faites aux femmes", est une expression qui doit être complétée avec "par les hommes". Dans son essai, elle insiste sur cette culture du viol qu’il est donné à chaque homme de réduire par son comportement, ses paroles, ses actes, ne rien laisser passer (de blagues, de comportements douteux, etc.), se sentir concerné. On peut voir ce livre comme un guide pratique, qui se termine par des recettes de savoir-vivre, en tant qu’homme, il faut réagir à cette socialisation sexiste, et comment le faire, dans sa famille, son groupe d’amis, sur les réseaux, ce qu’il faut faire et ne pas faire. Un simple exemple :

L’emploi du mot « aider » laisse penser que vous n’avez pas à en faire autant qu’une femme. Les autres hommes restent les fesses sur leur chaise ? Levez-vous et participez à la cuisine. Et s’ils se moquent, moquez à votre tour leur paresse.

Pour l’avoir fait, on ne mesure pas, à le lire, l’impact que ça peut sur les autres ce simple geste, qui ne manquera d’être commenté, et ce sera l’occasion de l’expliciter, et la conversation peut être tout à fait étonnante et, petit à petit, les choses évoluer, un peu. Tout ce qui peut empêcher de mener au sexisme, où tout le reste prend racine.

En tant que société, nous apprenons ces normes sexistes, et en bout de chaîne, quelque part, partout en fait, il y a des violences commises, des situations d’emprise, d’agression, de viol, de crime, des suicides ; et c’est en tant que société qu’il faut déconstruire, puis détruire, c’est-à-dire commencer par soi et essaimer, de proche en proche ; surtout à l’heure d’une reprise des discours médiatiques et politiques qui prétendent à un malaise dans la civilisation qui serait dû à une perte de pouvoir des hommes, alors qu’aucun indicateur ne montre ça [4], bien au contraire.

Ce sont les normes masculines qui créent la violence infligée par des hommes à des femmes, et c’est un travail difficile parce que beaucoup d’hommes continuent à dire qu’ils sont des braves types et que cela ne les concerne pas.
Notes

[1Ici, l’exemple du livre, se forcer à jouer au foot pour se conformer aux jeux du même genre que soi.

[2Je ne place pas ici toutes les sources sur les études, qui sont à retrouver dans le livre.

[3Quelques extraits choisis ici.

[4ni ne le montrait à toutes les époques où l’on retrouve ce discours de Caton l’Ancien, à Drieu la Rochelle, à Zemmour... Un très ancien marronnier

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