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Inconcevoir

dimanche 23 mars 2025

22 mars 2025

Jérôme Orsoni, en son blog, le 20. Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec les prémices, qu’on écrive ou pas sur, qu’on la pense ou pas, la montée, la remontée du fascisme est indépendante et si je la pense avec les outils que j’ai, ou peux maîtriser, c’est toujours ça. Il me semble aussi qu’il y a 90 ans, personne ne réfléchissait avec les catégories qui ont servi à représenter leur époque après coup [1]. J’apprécie plus la fin, sur la façon de dire la paralysie contemporaine de la pensée face à ce qui nous arrive... :

Si les journaux des écrivains du siècle dernier ne parlaient pas du gouffre vers lequel l’histoire conduisait leurs auteurs, ce trou dans le texte n’est pas la cause que l’histoire a sombré dans ce gouffre, peut-être même est-ce tout le contraire, peut-être est-ce que l’époque n’a pas su parler d’autre chose, penser à autre chose, qu’elle s’est obsédée d’elle-même jusqu’à s’en rendre malade, ne contemplant rien de l’univers que son infime omphale, qu’elle a confondu avec le centre du monde, parce qu’elle n’a pas su changer de sujet, parce qu’elle n’a su que traiter des sujets (même le patron des plombiers qui viennent réparer l’invisible fuite te répond quand tu lui demandes s’il est bien conscient de ce qu’ils s’apprêtent à faire en cassant le mur : « C’est pas un sujet » puisque c’est autour de cela que tout notre univers tourne, l’« un-sujet » et son autre, le « pas-un-sujet », car telle est notre ontologie : l’unssujettissement de l’être). Écrire — et la fiction, même quand ce ne serait pas toujours des romans que l’on écrirait, la fiction n’étant pas cantonnée au seul champ romanesque, loin de là, la fiction est le premier moteur de l’écriture —, écrire ouvre l’univers à l’inconnu, à l’inconcevable (par opposition au concevable, au déjà conçu, au préconçu), qui doit constituer notre futur. Tout ce qui est concevable est comestible et affameur, tout ce qui est concevable n’aura jamais rien de maternel, jamais rien de saint. À l’envers de quoi, la fiction, l’écriture, — l’inconçu.

Pourtant, j’essaie en permanence de me tourner vers autre chose, mais le monde autour de moi me ramène à lui par sa quantité de griffes, de chaînes — et je n’ai pas d’autre force. Je me dis aussi, qu’il faut sans doute à la fois en parler et n’en pas parler.

Scientifiquement, l’époque moderne, qui a commencé au 17e siècle, s’est achevée au début du 20e ; politiquement, le monde moderne dans lequel nous vivons est né avec les premières explosions atomiques. Je ne traite pas de ce monde moderne qui a servi de toile de fond à la rédaction de ce livre. Je m’en tiens d’une part à l’analyse des facultés humaines générales qui naissent de la condition humaine et qui sont permanentes, c’est-à-dire ne peuvent se perdre sans retour tant que la condition humaine ne change pas elle-même. L’analyse historique, d’autre part, a pour but de rechercher l’origine de l’aliénation du monde moderne, de sa double retraite fuyant la Terre pour l’univers et le monde pour le Moi, afin d’arriver à comprendre la nature de la société telle qu’elle avait évolué et se présentait au moment de succomber à l’avènement d’une époque nouvelle et encore inconnue.
— Hannah Arendt, prologue de Condition de l’homme moderne. Trad. Marie Berrane.

Notes

[1Je veux dire : ni la génération suivante, ni la suivante peut-être, ...

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