L’effacement de Toy Story 2
dimanche 2 avril 2023
2 avril 2023 [1]
Il y a plusieurs façons de perdre des données. Suppression accidentelle, attaque malveillante, catastrophes naturelles ou humaines. Qu’est-ce qu’un incendie ? S’il est de forêt, on peut le considérer comme catastrophe naturelle. Mais s’il est d’origine humaine, on peut appeler ça un un sinistre, ou encore un délit. Un tremblement de terre, quant à lui, sera toujours d’origine naturelle, espérons. Les incendies comptent pour beaucoup dans la perte de données depuis que l’humanité en produit.
Sur son site corporate, une société de maintenance informatique propose une histoire des pertes de données, et remonte à la première grande perte de données, qu’elle identifie comme étant celle de la bibliothèque d’Alexandrie. Cependant, William Marx remarque, dans son cours sur Pourquoi y’a-t-il des œuvres plutôt que rien, que les œuvres qui ont disparu à Alexandrie étaient vouées à la disparition, même sans l’incendie. En effet, des rouleaux n’étaient pas recopiés, d’autres, présents dans les rayonnages depuis trop d’années, étaient déjà dégradés en partie ou complètement. Tous les paramètres étaient à la disparition. Il y avait peut-être dans cette bibliothèque des œuvres considérées comme majeures, « canonisées », et donc entretenues là, et dans d’autres bibliothèques. Pour le reste, le temps est un incendie permanent.
Le site d’IT parle immédiatement après des pertes de données par cyberattaque ou espionnage. Il ne mentionne pas la destruction, à deux reprises pendant le tournage, du film Toy Story 2, en 1999, par erreur de manipulation due au surmenage des équipes réalisant ce film important pour Disney, qui allait générer 512 millions de dollars au boxoffice. Ce film, entièrement numérique, nécessitait beaucoup de données : les modèles 3D des personnages et des scènes, des morceaux de films « rendus », c’est-à-dire des vidéos calculées d’après les modèles, parfois dans une qualité proche du film final, et occupant donc autant d’espace sur des disques durs. Et parmi ces scènes en vraies couleurs, des essais, des erreurs, autant d’octets à gagner par des commandes tapées au clavier dans un terminal en mode texte, qui permettaient plus d’options que l’interface graphique (et parce que c’était l’usage à ce niveau de production, et pour l’époque) en particulier la possibilité d’effacer tous les dossiers d’un sous-dossier, sans confirmation pour aller plus vite, parce qu’il est 23 heures, qu’on est sûr de soi. Seulement, si la fenêtre noire à l’écriture vert fluo du terminal n’est pas dans le dossier des fichiers temporaires, mais juste au-dessus, dans le dossier principal de tout le monde, et qu’on travaille sans outil de gestion de versions dont le plus populaire, SVN, ne sortira qu’un an plus tard, alors la commande rm -rf * efface les fichiers de tous les intervenants du film, sans possibilité de les récupérer. Sur les ordinateurs utilisant le système d’exploitation Unix, comme les Silicon Graphics utilisés pour le film, la commande rm signifie "remove", effacer. L’option r : récursivement de sous-dossier en sous-dossier. L’option f sans confirmation. Le paramètre * : tous les fichiers et dossiers depuis l’emplacement actuel. La deuxième fois, quelqu’un criera à travers la pièce de débrancher l’ordinateur où ça efface. Jusqu’à 90 % de la réalisation a été perdue. Nous n’avons pas tous les détails. Le film a toutefois pu sortir.
D’autres productions dont nous ne savons rien ont peut être disparu de la même manière, des œuvres mineures, financées déjà à contrecœur, et sans les moyens d’en relancer la production.