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La Boîte noire

mercredi 8 novembre 2023

8 septembre 2023

Je ne sais pas si mes yeux sont ouverts [1]. C’est l’obscurité pure, celle du sommeil. Le noir complet d’un rêve vide. Je suis allongé sur un support dur et froid, béton peut-être. J’entends ma respiration, et un certain écho de celle-ci. Il y a des murs. Je me souviens de quelque chose, mon dernier souvenir. Je suis dans le métro, bousculé par l’entrée des voyageurs à une station, heure de pointe. Et soudain je suis ici. Allongé dans un cube de béton, ce que j’imagine être un cube, sans lumière. Je n’ose pas bouger, et à l’instant où je pense ça, je veux sortir. Je me dis que je dois sortir. Quelque chose ne va pas. Le métro, et puis ici. Je passe ma main sur le sol lisse, je tourne la tête. Rien à voir. J’entends le bruit de ma peau contre la surface, c’est tout. Mais c’est trop, toute ma peau colle contre le sol. Je suis nu. Je le découvre, je m’en rends compte. Je commence à avoir peur et puis, je suis énervé. Pourquoi moi ? Pourquoi ici ? Je me lève, je suis debout. Je me sens manipulé, j’ai dû être enlevé. Pourquoi ? Rien n’a de sens, je tends les mains devant moi pour avancer, mais je m’arrête. Et s’il y avait un gouffre ? Ou un piège ? Je me décide à crier. Je pense au cri, j’inspire, je n’ose pas crier. Je murmure, Y’a quelqu’un ? L’écho, encore. Pas vraiment un écho, mais une répercussion, froide, un son mat, la pièce est petite. Je pense au mot pièce. J’imagine un bâtiment, quelque chose où être. Quelque chose qui existe. Après tout, je suis en vie, quelque part, dans une situation... Dans une situation. Je demande si quelqu’un est là. Et je crie, Ouvrez-moi ! Je m’adresse à quelqu’un. Je pense à l’Autre, même après qu’un esprit pervers m’a attrapé, enfermé, je ne sais pas, comme si je faisais encore confiance à l’humanité, malgré ça. Je crie pour me réveiller, je frappe le sol des pieds. Rien. Pas un rêve. Je n’ai jamais pensé que c’était un rêve d’ailleurs, et c’est ça le pire. La peur gagne et je sais que ce n’est pas bon. Parce que j’ai lu des livres comme ça, vu des films où un personnage se retrouve dans une situation folle, où la peur est un sol glissant, un mauvais départ, le début de la fin, on le voit, comme lecteur, spectateur. Alors, pas peur. J’avance, tant pis. C’est peut-être un rêve, on ne meurt pas dans les rêves, après tout. J’avance, je commence à parler, comme à quelqu’un qui serait là. Que la blague est fini. Qu’il faut me laisser sortir. Que j’ai une famille, des enfants. Que voulez-vous ? Dites-moi, parlez-moi. C’est ça, je cherche le dialogue, même avec le Diable, c’est ainsi. J’avance à petit pas, les mains tendues. L’ombre semble être faite différentes textures, qui varient à mesure que j’avance. Je continue de me fier au toucher, à la lenteur. Un mur, enfin. Puis je glisse, pas à pas, ma main sur le béton ennemi. Une fissure, je sursaute, car je pourrais me blesser. Je touche la fissure, c’est une rainure. Verticale. J’ai trouvé quelque chose, il y a quelque chose, ce n’est pas du béton, c’est du bois peint. Je frappe et ça sonne, une porte, j’en suis sûr, je ne sens plus rien que mes mains sur la surface, qui sont le seul contact que j’ai avec l’espoir. Je frappe comme on frappe à une porte et je trouve ça à la fois risqué, ridicule, inutile. Je trouve la poignée, je n’ai pas peur d’ouvrir, que peut-il y avoir de pire de l’autre côté ? La porte s’ouvre en se poussant, alors je la pousse, avec précaution, j’avance, la lumière m’éblouit.

Le bruit envahit autant que la lumière, et j’entends des coups, des claques, répétées, crépitantes. Ce bruit si humain, si ancien. On m’applaudit ? Je ne vois rien, c’est trop blanc, je devine une foule, qui me regarde, moi, nu sortant d’une boîte de béton obscure. J’entends la voix d’un homme qui s’avance, autour de lui, une puissante lumière est braquée sur moi, et remue dans la blancheur, aveuglante, plus vaste. La voix me parle, sous forme de questions, avec un ton de joie qui frôle la démence. On m’interviewe, c’est ça, le contexte s’impose à moi, je ne pense même pas à me cacher le sexe avec les mains. Des questions. Je ne réponds pas, d’ailleurs, la voix n’attend pas vraiment les réponses. Le temps que j’ai mis à sortir, le volume sonore que j’ai produit, ma technique d’évasion, on me commente. Dans la clarté, s’approche une forme, à peine une ombre, qui me met dans les mains quelque chose de froid et lourd. Ça ressemble à un cube d’or, je me sens stupide. Je reçois d’autres paroles, questions ou invectives, et puis, doucement, on me déplace vers un coin moins brillant. Je devine tout, la scène, les gradins, le public, et je me retrouve dans un couloir obscur et affairé, où mes yeux se défont de leur captivité. Je vois des silhouettes qui circulent, je marche sur des câbles, il y a des portants avec des costumes. Une femme avec un micro-casque s’approche de moi et me tend mes vêtements, les mets sur le cube que je tiens, et par-dessus encore elle pose un chèque de dix-mille euros. Elle repart, en me lançant : N’oubliez pas de vous abonner à la chaîne.

Notes

[1Dans ma découverte en cours des chaînes Twitch consacrées à écrire, celle de Christelle Lebailly, qui propose des ateliers d’écriture. J’y ai pris la consigne et me suis amusé à écrire un petit texte pendant le temps d’un livestream, et j’ai relu/corrigé ensuite, après un jour pour laisser tasser le texte. La consigne :
"Votre personnage se réveille dans un endroit inconnu et se rend compte qu’il est devenu complètement aveugle. Il doit trouver un moyen de sortir de cet endroit. Ce texte devra être écrit de son point de vue, à la 1re personne du singulier (je)."

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