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La Maison des feuilles

dimanche 20 novembre 2022

 

30 octobre 2022

En lisant La Maison des Feuilles de Mark Z. Danielewski. Un livre fantastique, paraît-il ? Roman-calligramme qui dit que l’écriture est métaphore de l’écriture, all over. Beaucoup de pages blanches dedans, aussi, pas pour rien. Comme celles (quasi) vides au sujet du couloir, les mots en bord de page, longent le mur, face à un grand espace, creux, noir dans le texte, blanc sous nos yeux.

L’histoire est plutôt simple, si l’on veut. C’est une maison qui est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’est-à-dire que si je pouvais tenir cette maison dans mes mains, il y aurait un plus grand volume habitable que celui de mes mains, et je pourrais peut-être entrer dedans, si je pouvais l’ouvrir. Et c’est tout, à vrai dire. On peut ajouter qu’il y a quelqu’un qui nous raconte ça, Johnny Errand, un narrateur, qui nous transmets cette histoire, comme s’il nous écrivait, s’il était notre correspondant, nous envoyait du courrier, et d’ailleurs sa narration est imprimée en fonte Courier. Voilà, plus direct. Ce qu’il nous raconte, Errand, c’est dans ce qu’il prétend avoir trouvé, sur des papiers éparpillés chez Zampanò, un vieil aveugle, après la mort de celui-ci. Ces papiers étant l’étude filmique d’un documentaire, intitulé Navidson Record du nom de son filmeur, propriétaire de la maison, et c’est ce documentaire (qui n’existe pas dans la réalité de Johnny Errand, autrement que sur ces notes) que Zampanò transmet (en fait n’a jamais cherché à transmettre vu le bric-à-brac de son appartement abandonné). La mise en page imite (calligrammise) la forme de ces fragments (post-it, papiers déchirés), ou la forme de leur contenu narratif, descriptif (couloir, escaliers, espaces vides, sombres, inquiétants, éclair de lumière, peur). Je n’ai pas tout lu, et pas dans l’ordre. J’ai l’objet dans les mains (800 pages bien tassées) et il est effectivement plus grand que ça, à l’intérieur. Et à cet empilement de voix, on peut ajouter celle du traducteur, Claro, qui adapte Mark Z. Danielewski, dans une autre maison, celle des éditions Monsieur Toussaint Louverture.

La maison comme métaphore de l’écriture, c’est dans le titre, les feuilles. Je suis surpris de n’en trouver aucune mention dans les commentaires sur le livre, critiques, je n’ai pas tout lu bien sûr, c’est sûrement quelque part, mais pas prédominant. Bien sûr, c’est assez évident, et puis le livre est métaphore de tant d’autres choses. Mais principalement parce qu’il l’est de l’écriture, avant tout ; c’est ce que je pense. Il est dit partout que le texte est ironique et joue avec les codes, les formes, mais comme si c’était pour mettre en place un dispositif fictionnel. Je comprends que l’on se fiche parfaitement de cet aspect, on peut considérer que tout texte est une métaphore de l’écriture. Là, c’est un peu souligné, le fait qu’il raconte surtout, d’après moi, l’écriture d’un livre, comme un guide et un témoignage. Mais aussi, par le labyrinthe, de la folie. Ce qui est sans doute la même chose. On a un objet de départ (idée, plan, quelque phrase d’où partir) où l’on s’installe ("définition du quadrillage") en pensant bien s’y trouver, et il se révèle ("définition du mur extérieur"), au détour d’un mot, comme on dit, qu’une porte dissimule une phrase imprévue ("Réalignement du mur intérieur"), et si l’on s’engouffre par cette porte, il se peut qu’on sorte du texte ("portiques et croisées"), en effet, tout en étant visiblement (c’est là sur l’écran, la phrase suit une autre et précède une autre, on y est) dans le texte jusqu’au bout. C’est comme quitter une dimension, les personnages du monde de papier découvre la troisième dimension spatiale, ou alors les personnages du monde "réel" trouvent un couloir plus grand que la maison, dans une quatrième dimension imaginaire. En lisant, je n’ai pas été surpris de ça, en fait j’ai pensé à un texte que j’ai écrit il y a longtemps, publié il y a dix ans chez Publie.net, Arthur Maçon dans lequel je cite Flatland d’Edwin Abbott Abbott [1] et mon Arthur Maçon que fait-il :

Arthur Maçon a construit une maison où l’âme et son cortège furent. La saison houle à s’effondrer : neige mûre. Ces lieux hantés, comment les décorer ? Les pièces aux calmes recoins, repères fragiles, feu pris par le vent : ces lieux enchantés, comment les détromper ? Les briques collés l’emmurent, ciment sec irrite sa peau : comment l’humidifier ? Des chutes sans nom encerclent sa maison d’anciennes douves acides, qui dissolvent la terre. Crépitement, fumée, la maison détrônée se dresse sur un fin pic de poussière : comment la faire chuter ? La maison, ce lieu à renverser.

Je n’avais poussé plus loin la métaphore de la maison détrônée, pas exploré à fond ce qu’une maison d’écriture pourrait faire, de manière réflexive à un texte. Je pensais à "renverser", détruire, quand Danielewski, lui, déplie la maison dans plusieurs dimensions, construit l’inconstructible, donc.

Dans un texte, l’auteur peut devenir son propre ennemi. Il peut tirer à bout portant sur ce qu’il pense devoir être éliminé, et c’est lui-même qu’il blesse. Était-ce nécessaire ? Sans doute. Ou alors c’est le contraire, la déchirure de la réalité que le texte peut provoquer entraîne la folie et la métamorphose [2].

Au début, j’avais un souci avec le dispositif général. Je comprenais la mise en abyme, moins l’utilisation du film, des films, je n’adhérais pas à tout, je lisais un peu à reculons. C’est moins le cas après avoir avancé dans le texte, et ceci dans le désordre, bien sûr. Je reconnais, dans le même mouvement d’agacement, l’intérêt de "montrer" un texte comme il s’écrit pour raconter comment cela se fait, ce qui m’agace c’est simplement une question de sensibilité, je suis trop éloigné de l’univers mental du narrateur (s’il y en a un, de narrateur), et je ne me retrouve pas dans certains choix, c’est tout à fait personnel, mais c’est ce qui explique ma lenteur à lire (par exemple, l’ambiance Beat generation testostérone alcool etc.) Et puis, c’est aussi en raison d’une interférence, parce que j’ai un projet de texte, en regard de Village, dont le titre est Maison, où il sera question de feuilles, pas exactement, mais de pages, cependant tellement autrement que c’est peut-être l’angoisse de cet intérieur sans fond, tunnels sur couloirs sur grottes, qui me tient éloigné du texte. Le temps d’y descendre, qui sait. Mais c’est aussi le génie du texte, Flaubert cherchait à écrire le texte "sur rien", Danielewski a écrit un texte "sans fond".

Photo Eve Arnold

Ulysse, de Joyce, on ne peut pas dire que je me sente proche de tout son univers, avec les références mythologiques dissimulées, le texte en latin, les allusions folkloriques diverses, tout ce que je ne peux pas saisir, la géographie de Dublin, la date d’écriture, etc., mais je ne sais pas pourquoi je me sens plus touché par une urgence, une non-gratuité, qui passe peut-être par la langue, le rythme et les jeux. Alors, oui, j’ai parfois l’impression d’une totale gratuité de certains passages dans LMDF, c’est parce que je me surprends à être pris dans l’aventure, l’excursion (celle du faux films dans les papiers de fiction), à oublier que ça parle d’écriture et à croire que ça parle de randonnée de l’apocalypse, qui finalement m’intéresse moins qu’une simple déambulation dans Dublin, comme quotidienne, infra-ordinaire. Pourtant je ne déteste pas l’extra-ordinaire, le fantastique, mais voilà, je m’ennuie un peu parfois, c’est tout, tout en étant un peu écœuré, véritablement, par l’obscurité qui sourd, ce qui n’est pas forcément une critique, c’est que pour moi, dans ma configuration actuelle —celle où, après un début de résidence positif en terme d’écriture, je cale un peu, phénomène inquiétant de la page blanche [3] , mais part de l’écriture, ces moments de creux qui sont, on le découvre toujours après, nécessaires—, je ne peux pas recevoir tout de ce texte. Je continuerai à feuilleter, tout comme je joue de temps à autre, ou reste en contact avec l’univers SCP d’où la Maison des Feuilles semble tout droit sortie, à la manière de ordinateur récemment, véritable SCP de bugs, quand il a failli planter tout mon RRK en cours, parce que j’aurais dû faire plus attention au fait que mon logiciel d’écriture, Scrivener, n’étant pas prévu pour Linux, allait dépendre de Wine (un machin qui permet de le faire tourner sur Linux) et d’autres fondations techniques encore liées à Microsoft, et qui fonctionnent très mal à travers Wine, mais qu’utilise Scrivener ; bref, j’ai passé une journée horrible à essayer de retrouver comment écrire mon texte et j’ai fini par devoir repasser par n fichiers dans p répertoires, sans pouvoir conserver une interface unique et dédiée où manipuler tout ça, comme si mes feuilles étaient soudain éparpillées par le vent, fragiles. Car, ce n’est pas sur le possible texte Maison que je m’inquiète, mais plutôt pour le texte en-cours, et en réalité pour l’écriture en général. L’écriture à la fois épouvante et attire.

:: : bête tapie en soi, traquée dans son cri muet, crâne-chose solidifié dans sa patience, ni retranché de la vie ni émissaire d’un au-delà, pas plus rongé par les vers qu’animé par l’ambition d’effrayer, livre vain et caverneux qu’on ne saurait feuilleter, missel osseux à jamais clos sur un passage essentiel que nos lèvres la nuit toutes les nuits murmurent ou articulent, disant ces mots,

Sous d’autres formes nous reviendront, Claro. Seuil.

*

Objet no : SCP-087

Classe : Euclide

Procédures de Confinement Spéciales : SCP-087 se trouve sur le campus de [SUPPRIMÉ]. La porte menant à SCP-087 est construite en acier renforcé avec un mécanisme de verrouillage électrique. Elle a été déguisée pour ressembler à un placard de conciergerie qui ressemble au reste du bâtiment. Le mécanisme de verrouillage se débloque uniquement quand ██ volts sont appliqués, pendant une rotation antihoraire de la clé. L’intérieur de la porte est bordé de 6 centimètres de mousse industrielle.

À cause des résultats de l’exploration finale (voir le Document 087-IV), aucun membre du personnel n’est autorisé à accéder à SCP-087.

Description : SCP-087 est un grand escalier avec des plate-formes. Les escaliers descendent suivant un angle de 38° sur 13 marches avant d’arriver à une plate-forme semi-circulaire d’environ 3 mètres de diamètre. La direction de descente pivote de 180° à chaque plate-forme. La conception de SCP-087 limite la portée visuelle des sujets à environ 1,5 mètres. Une source de lumière est nécessaire pour tous les sujets qui explorent SCP-087 car il n’y a ni appareil d’éclairage, ni fenêtre. Les sources de lumière supérieures à 75 watts sont inefficaces, étant donné que SCP-087 semble absorber tout excès de lumière.

Notes

[1Des personnages géométriques, tels le triangle, le carré, le pentagone, l’hexagone, vivent dans un monde plat et sont surpris un jour de voir leur monde traverser par une sphère qui n’apparaît que sous forme d’un cercle dont la taille change, et vient de Spaceland.

[2Je parle ici de l’excursion d’Holloway, Wax et Jed dans ce qu’ils pensent être un couloir mais s’avère être une grotte immense remplie d’obscurité ; ceci dans la fiction Navidson Record dans la fiction. Comment dire plus clairement ce qu’est l’écriture d’un roman ?

[3il faudrait que je publie plus d’extraits du texte en court, de lectures par exemple, que ça me pousse ; je mets ceci en note de bas de page, qui pourrait apparaître, selon la charte d’autres sites, en marge, comme pour donner moins d’importance au phénomène.

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