Laughing stock, 2
lundi 16 juin 2025
15 juin 2025
Mark Hollis, le leader du groupe Talk Talk, disait :
La meilleure version de quelque chose que l’on joue, c’est la première. Dès que vous tentez de le recréer, ça devient la simple imitation de quelque chose qui était mieux à l’origine.
C’est-à-dire que l’album Laughing Stock a été enregistré comme ça. Hollis a fait jouer une trentaine de musiciens en studio, en leur demandant d’improviser. Un peu la même méthode que pour le précédent album, Spirit of Eden, sauf que là, en plus de ne pas jouer ensemble, et pas le même jour, ils ignoraient totalement ce que les autres avaient fait, ne jouaient pas par-dessus une mixage préparé. Cela a duré quatre mois, dans un studio éclairé seulement par des lava-lampes et la rougeur de l’extrémité des bâtons d’encens. Quatre mois, parce qu’il faut du temps pour extraire le riff parfait de mille improvisations. "Je crois que vous vous en sortez miraculeusement bien si vous pouvez garder un demi pourcent de ce qui est joué !" L’idée était d’utiliser les technologies numériques les plus récentes pour monter l’album, ne pas écrire, ne pas répéter, ne pas faire rejouer. Et même : rendre l’album injouable sur scène. La musique que l’on entend n’a réellement était jouée live qu’une seule fois. C’était leur dernier album, il n’y a pas eu de concert ensuite, à peine de la promotion de cet album injouable à la radio (pistes trop longues, rien de pop). Une seule prise, donc, qui a duré dix mois : quatre mois d’enregistrement, trois mois de pause, trois mois de montage. Et sur la planète Terre, dans l’histoire humaine, ces notes que l’on entend n’ont été produites qu’une seule fois, dans un studio discret du Nord de Londres, entre 1990 et 1991.
Au sujet de Talk Talk, ça commence sur l’ancien site, qui se conclue par une promesse d’en parler justement un jour, donc c’est ici, aujourd’hui. La suite une autre fois, si elle vient.
Cependant, tout ce que je pourrais écrire sur cet enregistrement, que ce soit sous forme documentaire, ou sous forme de récit fictif, tombera à côté. Il faudrait que j’emploie la même technique d’improvisation-montage, mais pour écrire quoi ? Tout sera produit à partir de ce qui a déjà été documenté, commenté. Or, Mark Hollis place le silence au-dessus de tout, et je ne ferais que du bruit.
Tim Freese-Greene, producteur du groupe, dans un article de Mojo :
Quatre minutes après le début d’After the flood, il y avait un espace de 75 secondes qui attendait un solo. Hollis est allé cherché le Variophone, un synthétiseur allemand contrôlé par le souffle qui avait, avec sa teinte cuivrée de fantôme et d’éléphant en détresse, fait l’empreinte sonore particulière de Talk Talk. "C’était une des machines les moins fiables jamais conçue", souligne Tim. "À la base, Mark avait une partie pour le solo qui prenait toute la section et n’était fait que de deux notes. Il a joué en passant par une enceinte très grande et le Variophone fonctionnait clairement mal, ça sautait au hasard des octaves et produisait toutes sortes de feedback internes. On a réécouté et on s’est dit : C’est trop. Et on a réduit à une note. C’était le seul solo possible qui pouvait aller à cet endroit. J’étais occupé dans le studio à régler l’enceinte quand j’ai entendu cette seule note rugissant à travers l’ampli, et je me souviens avoir pensé : C’est la fin. On ne peut pas aller plus loin. Après une note, il n’y a plus de note. C’est le dernier album qu’on fera."