Le philosophe de plateau
mercredi 5 juin 2024
5 juin 2024
Considérons ce philosophe de plateau télé. Il a la parole vive et appuyée, un peu trop précise, un peu trop rapide, il vient vers le service public un peu trop vite, il s’incline ou se scandalise avec un peu trop d’empressement. Sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitudes pour les attentes du spectateur. Et puis, le voilà qui vient et revient de plateau télé en studio de radio, en essayant d’imiter dans son argumentation la rigueur inflexible d’on ne sait quel Grec ancien, avec sa toge d’idéologie bien repassée, tout en simplifiant, pour le public, avec un aplomb de lanceur de couteau, en mettant son discours dans une équilibre relatif à tout, n’osant jamais verser trop d’un côté ou trop de l’autre, pour faire mine de viser au centre.
Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s’applique à enchaîner ses phrases comme si elles étaient des mécanismes se commandant et s’annulant les unes les autres. Il s’exprime bien, il séduit, il joue, il s’amuse, mais à quoi joue-t-il ?
Il ne faut pas l’écouter longtemps pour s’en rendre compte : il joue à être philosophe.
Il n’y a rien là qui puisse nous surprendre : son jeu est une sorte de mise en garde et de conservation. L’enfant comme le ministre joue avec les mots pour explorer les possibles, atteindre les limites ! le philosophe médiatique joue avec sa condition pour la réaliser. Cette obligation ne diffère pas de celle qui s’impose à toute la sphère médiatique : leur condition est toute de cérémonie, de spectacle. Un spectacle qui pense est offensant pour le service médiatique, le philosophe de plateau doit se conformer à son rôle de chien de garde conservateur.
Voilà bien des précautions pour emprisonner l’homme dans ce qu’il est. Comme si nous vivions dans la crainte perpétuelle qu’il n’y échappe, qu’il ne déborde et n’élude tout à coup sa condition.
D’après Le Garçon de café, Jean-Paul Sartre, in L’Être et le néant - extrait en pdf :
