Micronisation

8 avril 2022

Je n’avais jamais vu tourner mon moulin à café. Bien sûr, je l’utilise, il fonctionne, mais je ne regarde pas ce qui se passe. Je mets les grains, je referme le couvercle transparent, j’appuie, ça mouline, bref, ça moud, et je n’avais jamais regardé vraiment dans quel sens le couteau rotatif tournait et d’ailleurs le couvercle transparent, je ne le nettoie jamais à fond, il est toujours recouvert d’une pellicule de café. J’ai regardé ce matin et j’étais surpris de voir qu’il tournait dans le sens anti-horaire. Dans la sensation que j’avais, dans ma main, la vibration du moteur, les grains broyés entrechoqués entre eux et contre les parois, puis, de plus en plus finement, la poudre, micronisée, ou presque, j’aurais juré que ce que je sentais était une rotation horaire. Je le savais sans l’avoir vérifié, je le savais sans le savoir, je visualisais sans vision, par le toucher. De voir soudain quelque chose qui contredisait autant mes sensations, des sensations si anciennes m’a fait un choc. Je sentais l’hélice tourner dans un sens, et de la voir tourner dans l’autre...

Comment un tel hiatus est-il possible ? Et pourtant, des gens, parfois moi, continuent de croire des informations sans chercher à les vérifier. Nous sommes impuissants à les vérifier, nous ne pouvons que nous "informer", c’est-à-dire lire des choses écrites par des personnes sur des événements qui nous sont plus ou moins lointains, et elles plus ou moins lointaines de ces événements, parfois des intermédiaires, parfois sur place, témoins directs ; et il nous faut faire confiance. Confiance à qui ? Comment démêler le vrai du faux ? Ou comment déceler l’inexactitude ? Bien sûr, il faut douter, chercher plusieurs sources, et probablement aussi qu’au bout d’un certain temps, il ne faut pas continuer de douter : douter sans fin ou vouloir douter à tout prix est quelque chose à questionner. Il y a un doute raisonnable. Et puis, ce "à qui", avec le temps, on voit, on devine, de proche en proche, on réfléchit, le temps passe, des faits sont confirmés des années après, on peut revenir en arrière, et comprendre l’ensemble du grand moulin médiatico-politique, et pour finir dans quelles colonnes il était, et il est, plus raisonnable de lire que d’autres, et comment lire quoi, fabriquer soi-même sa balance de vérité des faits. Parfois, il y a l’urgence, comment faire, alors ? Et si j’imagine être à un endroit d’urgence (et parfois j’y suis, l’urgence me concerne si je dis "urgence climatique", ou pense aux politiques de services et santé publiques) si je ne me décide pas vite dans ce cas, c’est moi qui subis, selon, la politique inique, le coût, la privation, la censure, la blessure, la mort. Y a-t-il le temps de douter ?

Parfois il y a la sensation, là, juste sous notre main, et il suffit de soulever le couvercle pour vérifier, et être sûr et voir qu’en fin de compte, c’est que, dans un sens ou dans l’autre, le moulin tourne et découpe les grains de plus en plus finement, jusqu’à ce qu’il n’en reste que de la poudre, et cela : c’est certain.