Sa grande tête sur une tige fine
samedi 1er février 2025
31 janvier 2025
Il peut m’arriver d’avoir envie de traduire, mais face à l’ampleur de la tâche, un livre complet trois cents pages, et à l’inutilité de le faire, car je ne sais que l’anglais et tout le monde fait déjà ça, je ne résiste pas très longtemps. Peut-être si j’avais commencé jeune, tentant l’expérience éditoriale, et recevant de temps à autre une proposition ? Ou la quémandant ? Trop tard. Cependant, j’aime bien ça, l’exercice à contrainte, avoir un texte déjà fait et de pouvoir simplement réécrire, et travailler, retravailler, trouver le mot le plus juste, ce jeu-là. Mais quel "jeu" trouver ? Quel "exercice" faire ? Quel livre ?
Je me suis fait un site de traduction pour le livre que Claro appelle le plus beau livre du monde et grâce à la version en ligne intégralement lisible, je peux y aller, paragraphe par paragraphe, dans une interface sur mesure, une sorte d’Ulysse par jour à l’interface réduite.
Miss MacIntosh, my darling, de Marguerite Young. Publié en 1964 aux Etats-Unis, et jamais en français. Évidemment, Claro le traduit, de façon professionnelle et rémunérée, et tant mieux que quelqu’un le fasse, et que ça soit lui ! Je ne m’attendais pas à pouvoir le traduire, dans tous les sens du terme, savoir, être capable, avoir l’espace public de le faire, évidemment, mais si personne ne l’avait fait, je me serais peut-être senti investi d’une mission, j’aurais essayé de faire ça bien, on m’aurait donné de quoi vivre pendant cinq ans, le temps que j’arrive à la moitié du livre, que je comprenne quelque chose à ce que je fais, au moins. Une fois que j’ai su que le livre était entre de bonnes mains, j’ai d’abord cessé d’y penser. Sauf que je peux très bien continuer tranquillement, à mon rythme et juste pour moi, pourquoi non ? Pourquoi ce livre aussi, pourquoi pas un petit livre que je pourrais terminer dans le temps d’une vie ? C’est justement parce qu’il est impossible, peut-être, que ce livre m’intéresse. Je n’arrive pas à retirer le double sens de la phrase précédente. C’est aussi une façon de le lire, tout court. Et tant qu’à traduire pour le plaisir, autant le faire avec le plus beau livre.
Certaines descriptions sont presque étouffantes dans leur déroulé, la manière dont est habillée "la fille pâle et maigre", par exemple, c’est décrit de façon très encombrante, emberlificotée, serait le mot, impossible, too much, et c’est passionnant d’essayer de trouver le même dynamisme proliférant avec d’autres mots. Et c’est assez réjouissant, après avoir traduit moyennement tel ou tel mot, qui ne sonne pas comme en anglais, et être déçu, de se rendre compte qu’un autre mot tombe parfaitement bien en français, et que ça rééquilibre l’allitération perdue là, on l’a ailleurs, mais on peut quand même la chercher à nouveau là en tordant un peu le texte. Car, aussi, quand je m’autorise à m’éloigner un peu de ce que je pense être "ce qu’il faut" traduire, pour m’approcher plus d’un mouvement, qui finalement est vraiment "ce qu’il faut" pour respecter le ton, l’esprit de la VO, c’est bien comme sensation.
Si c’était rémunéré, si je me disais que je me lance dans la traduction de livres techniques, ou de catalogues, je m’y mettrais sans doute plus facilement et régulièrement. Et obstinément. Enfin, je raconte n’importe quoi, je perds beaucoup de temps, j’ai vraiment autre chose à faire, en principe. Après tout, on lit pour soi, pour le plaisir, pourquoi ne traduirait-on pas de même ? Prochaine étape : écrire, tout simplement détaché de tout, sans plus rien attendre ou espérer.
Un autre métier possible, ce serait recopier un livre en anglais. Je veux dire, littéralement le recopier, mot à mot, en anglais, simplement pour le lire. Il faudrait trouver un business model pour permettre que quelqu’un désirant simplement recopier un livre soit payé. Par exemple, il faudrait détruire tous les ordinateurs, les disques durs, les presses, les moyens techniques de reproduction, pour s’assurer le retour des copistes. J’en serai.
Marguerite Young, c’est vrai que c’est magnifique. Et déstabilisant, aussi. Des énumérations délirantes d’objets absolument simples, des répétitions inattendues, des répétitions attendues, des enchaînements de "and" et puis d’un coup une virgule. Mais c’est peut-être l’anglais, ça, pour les listes, je crois que mon inexpérience parle et que les énumérations ne se font pas pareil qu’en français, je n’en sais rien. Ce qui est sûr, c’est que j’adore et admire l’écriture qui tient en équilibre les montages les plus disparates.