Suites
mercredi 21 mai 2025
14-15 mai 2025
Alité, je regarde des péplums. Maintenant, cette phrase existe. Gladiator [1] puis Gladiator 2 [2]. Le premier est raisonnablement bien, ça se hisse au-dessus du bon nanard, c’est un bon film, il y a une ambiance, une construction de l’histoire qui occupe vraiment la temporalité, je ne sais pas comment le dire, et puis les acteurices sont parfait·es, même s’iels parlent american, c’est toujours un peu drôle. Problème qu’on n’a pas, je crois, pour un film japonais féodal. Le second film, je ne comprends pas. Les éléments clés de l’intrigue du 1er sont repris, comme la vengeance, le chef de guerre devenant esclave devenant gladiateur ; comme pour dire au spectateur : on reprend le même chemin connu (même début aussi : une campagne victorieuse qui étend l’Empire), quelques ajustements, légères retouches, pour faire semblant d’un autre film et tout ira bien. Alors, la fin est modifiée, presque inédite en somme, certes, il faut attendre 1 h 45 pour arriver à cette partie.
Après les aliments, c’est le cinéma ultratransformé...
Donc, un péplum oui, mais en grec ancien.
La suspension volontaire d’incrédulité s’arrête à une inscription gravée sur un mur : en anglais. Ce qui est curieux, c’est qu’un graffiti latin ou grec prononcé en anglais ne m’aurait posé aucun problème. Qu’est-ce qui est le plus bizarre ?
Un film efface tout ça, Flow, de Gints Zilbalodis (2024). Film d’animation [3], qui suit un chat, avec rien que des animaux, aucune parole, aucun humain [4], des plans séquences parfois admirablement longs, une musique précise, à une juste place. L’émotion contenue dans ces quelques moyens est mémorable, nouvelle aussi.
Il y a l’aspect technique qui n’y est pas pour rien. Pendant le film, je me disais : on dirait un jeu vidéo. Il y a quelque chose des "cinématiques" des jeux vidéo, ces scènes qui complètent le game play, qui raconte l’histoire, les animaux, transmettent une émotion, avec des scènes, décors, jeux d’acteurices. Or, comme ces scènes tiennent du cinéma, on pourrait se demander ce qu’il y a de particulier pour qu’on les remarque quand elles reviennent au cinéma. C’est la manière de rester près du héros (le chat noir, ou la chatte noire d’ailleurs, on ne sait pas), de le suivre en restant un peu derrière, ou un peu devant, avec cette manière décalée de suivre un personnage "à la troisième personne", dans un jeu vidéo, un avatar que l’on contrôle, mais au lieu de voir à travers ses yeux, on le voit lui dans le monde 3D où on le fait bouger, cette caméra toujours mobile, comme si elle était un autre animal de la scène, tout proche. Donc, il y a cette immersion, dans le film qu’on retrouve, appuyée par les plans séquences très longs du début, jusqu’à 4 minutes et demie pour la scène clé, au début, qui fait intervenir l’eau. L’usage de cette "cinématique", qui utilise d’ailleurs un logiciel particulier, Blender, libre et gratuit, open source, c’est aussi quelque chose, un aspect "nouvelle vague", dans les outils, de dire : une personne seule peut réaliser un film avec un outil opensource, car Gints Zilbalodis a réalisé son long-métrage précédent, Away (2019), entièrement seul, jusqu’à la musique. Blender, c’est l’outil que j’utilise pour faire du montage vidéo, il permet aussi de faire de la 3D, et le réalisateur letton l’a utilisé pour créer le monde : les collines, montagnes, rivières, etc. Pour Flow, une équipe franco-belge a travaillé à l’animation spécifique des animaux. J’aime aussi l’idée qu’il ne travaille pas avec un story-board, mais avec la fabrication directe de l’univers où va se passer l’histoire, et il crée les mouvements de caméra pour les 22 séquences et 307 plans, en plaçant les animaux non-animés qui se déplacent comme des blocs, dont les mouvements seront développés plus tard.
Au-delà de la technique, mais grâce à elle bien sûr, c’est le choc émotionnel provoqué par les péripéties, les situations, et ce point de vue "tout animal". Ce choc me rappelle la lecture du roman de Felix Salten, Bambi [5], radical dans sa manière d’aborder des sentiments animaux, bien loin de l’humanisation du film de Disney, ils sont, dans le roman, totalement non-humains. Pas "totalement", bien sûr : mais pas parce qu’ils seraient écrits de manière à être un peu humains et qu’on s’identifierait, plutôt parce que le texte nous déplace jusqu’à leur point de vue et, de ce nouvel endroit, nous pouvons les comprendre, et sentir, découvrir, rencontrer de nouvelles choses que nous faisons, alors, humaines. Pareil pour Flow. J’ai beaucoup pleuré également.
[1] Ridley Scott, 2000, scénario : David Franzoni, John Logan, William Nicholson. Musique, étonnamment : Lisa Gerard de Dead Can Dance, et l’inévitable Hans Zimmer.
[2] Du même, avec David Scarpa pour le scénario.
[3] Multi-primé, partout dans le monde, j’ignorais tout du film avant de le voir, même le pitch.
[4] On se souvient de Minuscule, peut-être.
[5] 1923, Trad. Nicolas Waquet, 2020