Touristeur
samedi 14 mai 2022
26 avril 2022
Changement d’avion à Vienne, Autriche. Le port du masque FFP2 obligatoire. Des salles fumeurs, toute de verre, autocollants translucides arc-en-ciel, parallélépipèdes de verre à fumée. Au distributeur de boissons chaudes, café soluble classique, et je lis bel et bien un bouton marqué : "Irish coffee". Avion pour Athènes en retard, Gate 37. C’était moins cher comme ça, indirect.
Athènes, la ville d’abord par le paysage qui file le long du trajet en train. Impressions génériques : ville, soleil, immeubles ; couleurs claires. Ensuite, les tunnels. Ces villes qui se découvrent en gravissant l’escalier de sortie du métro. Quartier excentré, au nord de la place Omonia, le gris, la saleté, les graffitis, partout, sur chaque immeuble dirait-on, il y aurait de la lecture si je savais déchiffrer et comprendre le Grec.
Des immeubles laissés à l’abandon, des terrains vagues qui ne semblent pas en voie d’être construits, des rénovations qui auraient dû être faites il y a dix ans déjà. Je pense à la crise de 2008, à ses suites, à la dette dont le remboursement, dans les années 2010, a coûté au peuple grec, a coûté en services publics, en argent public, a coûté en possibilités de vie meilleure.
Je ne vois qu’en surface, en fait, je ne vois rien, j’ai l’impression de voir, je ne peux rien dire à peine arrivé, n’est-ce pas ? Je vois la ville comme abandonnée, économies faites sur le nettoyage et la rénovation des routes, des trottoirs, pas d’argent privé non plus pour rénover un immeuble, faire du neuf et détruisant le vieux, et derrière tout ça la crise des services publics, la réforme des retraites qu’il y a eu.
C’est ce que je vois, avec mon regard de milliers de kilomètres. Quant à la ville seule, à l’architecture, aux rues, peut-être suis-je trop habitué à notre "modernité" maladive, où l’argent se déverse (d’où ?) pour toujours faire mieux, plus neuf, plus propre, plus technologique. Et puis, sur la saleté seule, c’est l’arrivée un jour férié (une des fêtes de Pâques) où la ville n’avait pas nettoyé qui a pu causer ma surprise. Les poubelles : des bennes dans la rue, ouvertes pour qu’on puisse y jeter son sac. Pas de recyclage, on y jette aussi bien une chaise, un matelas, que ses poubelles domestiques, cartons et déchets, ou la paille et les crottes de sa cage à lapins, visiblement. Je me dis, parce que je compare, forcément, je me dis que je vis habituellement dans une ville bien propre, mais au-delà peut-être du raisonnable, comme une politique obsédée par la propreté, par le neuf, où il faut détruire vite pour reconstruire, investir, faire fructifier la pierre, c’est ça, au fond, et l’on peut dépenser de l’eau claire pour nettoyer le trottoir, plus que de raison, tandis qu’ici, dans une ville du sud, plus chaude, où les trottoirs sont carrelés pour ne pas absorber la chaleur de l’été, on économise l’eau, avec raison, et que dans nos villes bien propres et irriguées on devrait peut-être s’interroger, avec le réchauffement climatique, les nouvelles sécheresses ("éclair") sur nos habitudes et nos obsessions. Mais aussi, je vois, les scooters, motos, sans casque, comme une vie d’avant, une vie d’autrefois — je me souviens quand la ceinture de sécurité est devenue obligatoire à l’arrière — je ne sais pas, c’est à la fois se dire qu’il y a moins de règles, donc plus de libertés, mais plus de risques bêtes, de morts stupides, quelque chose comme ça. Et je ne veux pas parler du discours que l’on a entendu chez nous, rassuriste sur le virus (vivons sans masque, sans précaution, libres plutôt qu’enfermés car nous sommes mortels de toute façon, etc.) car le masque est porté ici, peut-être qu’on pense aux plus faibles qui peuvent être touchés par le covid-long, les effets secondaires, jusqu’à la mort qui pourrait être évitée, un peu mieux, avec quelques règles simples. Ma vie dans un monde, une ville, aseptisée, protégée, ma vie privilégiée, loin de ce que peut être le monde, le monde globalisé, ses milliards d’habitants, moi tout petit là-dedans, tellement loin du centre, comme je m’en apercevrais encore en lisant au bord de la Méditerranée dans quelques jours.
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Le Musée Archéologique est très riche, des pièces d’or magnifiques comme ces masques mortuaires des tombes découvertes à Mycénée, vers 1600-1800 BC [1]. Plus loin, après le Zeus (ou l’Apollon) faisant le geste de jeter quelque chose comme une lance, qui elle n’a pas passé les siècles, je repère une statue creuse taille réelle, en bronze, d’un jeune jockey sur un cheval au galop [2]. Tous deux en plein effort, l’expression figée sur leurs traits est puissante, de détermination et d’effroi mêlés, surtout la première pour le garçon et la seconde pour l’animal, peut-être un peu de chagrin, comme la tristesse d’accomplir une revanche qu’on ne peut pas laisser passer. La vitesse est également sensible, je ne crois pas avoir jamais vu de statue qui restitue aussi bien tant d’émotions et d’effets, et pourtant je vis au 21é siècle.
[1] J’écris à la mode anglaise, Before Christ, plus court que Av. J.-C., bien que milite pour une date 0 prise sur celle d’UNIX, le 1er janvier 1970 00:00:00 UTC.
[2] L’Artemision, 140.BC