Tout est capital
mercredi 3 mars 2021
22 février 2021
Extrait du Carnet de bord :
Guyotat disait, en substance, que sa littérature n’était pas de la littérature mais de l’art : elle sera de la littérature dans cinquante ans. En somme, on n’écrit pas pour le strict moment de la publication, on écrit pour les lecteurs du siècle à venir.
Citation que je pourrais reprendre pour mon Comment écrire un chef d’œuvre. Et ça débuterait comme ça :
Pourquoi écrire un chef d’œuvre ? La question du pourquoi, nous la balayons rapidement plutôt que d’en faire un livre inutile qui dira en deux cent pages ce que l’on sait déjà en une phrase : pour survivre aux siècles.Passons directement aux questions pratiques : Comment écrire un chef d’œuvre ?
C’est cette question que tout aspirant écrivain devrait se poser dès le plus jeune âge, un peu comme les enfants qui à trois ou quatre ans demandent sans cesse “pourquoi ?”, au lieu de “comment ?”. Comment s’écrit un chef d’œuvre, un de ceux qui se trouve sur les rayonnages d’une bibliothèque, portant le nom d’un auteur qui a survécu.
*
Et puis j’ai lu Soudain dans la forêt profonde d’Amos Oz, traduit par Sylvie Cohen.
toutes les créatures vivant à la surface de la planète, les hommes, les bêtes, les oiseaux, les poissons, les reptiles et les autres bestioles rampantes sont très semblables malgré leurs multiples différences : nous avons tous des yeux pour distinguer les formes, les mouvements et les couleurs, nous percevons presque toute la gamme des sons et des échos et sommes capables de sentir la lumière et l’ombre par l’épiderme. Et nous discernons et classons aussi les odeurs, les goûts et les sensations. En outre nous connaissons tous les surprise et la peur, éprouvons la fatigue ou la faim, et chacun d’entre nous est attiré, rebuté, paniqué ou dégoûté par quelque chose. De plus, nous sommes tous très vulnérables, chaque homme, reptile, insecte et poisson connaît le cycle du sommeil et du réveil, recherche son bien-être, fuit le froid ou la chaleur, possède l’instinct de conservation et évite ce qui coupe, mord ou pique. Chacun d’entre nous risque de se faire écraser comme un rien. Et tous autant que nous sommes, oiseau, ver de terre, chat, enfant, loup, faisons de notre mieux pour nous garder de la douleur et du danger, mais prenons des risques chaque fois que nous nous mettons en quête de nourriture, de divertissements, d’aventures, d’émotions fortes, ou que nous recherchons le pouvoir ou le plaisir.
Aussi :
La dérision est peut-être un rempart contre la solitude. En effet, les moqueurs veulent un public, et celui qui en est la victime est toujours seul.
Et :
Prenez garde de ne pas contracter la maladie du mépris et de la raillerie. Au contraire, tâchez d’en protéger vos camarades, ou du moins quelques-uns. Parlez-leur. Parlez aussi aux insulteurs, aux agresseurs, à ceux qui éprouvent un malin plaisir à faire souffrir autrui. Parlez à tous ceux qui seront disposés à vous écouter. Allez trouver également ceux qui se moqueront de vous, qui vous condamneront ou vous mépriseront. Parlez et parlez encore, sans vous décourager.
Or, voilà exactement le conseil que je n’ai pas suivi en me moquant du style d’une prétendue poétesse et assurément bestsellerienne, mais si on ne moque plus des mauvais livres trop vendus, où va la littérature ? Et que dire de cet auteur en PLV-carton à Carrefour ? Bref. J’ai pourtant l’habitude de m’en tenir aux conseils positifs. Enfin, je pense que ça va aller. Elle a eu un prix de poésie aussi, c’est pour ça, c’est quand même extraordinaire de lire ces phrases banales et sans rythmes et de se dire que. Bref, bref.
Etymolgie de Chef d’œuvre, dans le TLFi (Trésor de la Langue Française informatisé) :
1268 : chief-d’œvre. « Ouvrage capital que devait faire un apprenti pour être reçu maître dans son métier » (E. Boileau, Métiers, éd. G.-B. Depping, p. 216)
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Le poète, c’est le poursuivant ou l’infatigable voyageur. Offrez-lui une halte, il sait bien qu’il n’en a que pour un court répit et que, de nouveau, son souffle le mènera plus loin que son désir.Seul peut tenir lieu de compagnon celui qui révère les silences, celui qui sait que demain est toujours plus avant et qu’il n’y a pas d’arrivée.
...
Le poète avance par saccades : coups d’ailes et retombées.
L’expérience lui suggère que la chute présage de l’essor. Mais, au plus sombre d’une détresse, cette mémoire est de maigre secours.
— Andrée Chedid, Terre et poésie.