Un fil
mercredi 23 décembre 2020
4 décembre 2020
Ecrire à partir de faits réels que je ne connais pas, que je n’ai pas vécus, ressentis, appris, des faits distants, connus, je n’ai jamais fait. Vérifier une date, un acte, trouver plusieurs sources, rencontrer des spécialistes de la période, consulter des archives ; je me sens encore moins à ma place que d’habitude et ne sais pas du tout où je vais avec ce texte. Cependant, je prends tout ce qui vient, ces déplacements m’apportent des morceaux de scénarios inattendus, des scènes de mise en contexte auxquelles je n’aurais jamais pensé, et finalement une reconstitution se dessine, je commence à marcher mentalement dans ces rues qui n’existent plus.
Mais tout passe avant : les cours, les commandes de textes [1], les sites à réparer, maintenir. Ensuite seulement je peux me plonger dans cette ancienne année à écrire, les vies de ces quelques protagonistes, et me demander comment savoir qui ils étaient, ce qu’ils lisaient, ce qu’ils aimaient, pourquoi ils ont agi comme ça. Mais pour se plonger dans l’écriture d’un seul texte, il faut des jours. Et les interruptions empêchent ça, le processus de création est réinitialisé à chaque fois, et il faut recommencer à se plonger, à nouveau des jours qui ne tiennent qu’à un fil.
Et puis aussi, tout va trop vite. Quand je parle d’Internet et du web à mes étudiants, je me rends compte, année après année, que la somme des nouveautés dans le domaine que je devrais aborder me dépasse. Je parle d’un état figé dans le passé et le cours des choses nous a déjà emporté loin en aval. Il y a quelques années (déjà, je dis "quelques années") j’ai ajouté l’intelligence artificielle à mes propos. Terme qui ne veut pas dire grand chose, en réalité je parle des réseaux de neurones, avec quelques exemples. Mais je suis déjà dépassé. GPT-3 utilise une base technique que je ne connais pas, différente de celle de GPT-2 que je présente un peu.
Le temps de rester à jour sur tout ça, où passe le temps pour écrire ? Il me faudrait une base mensuelle, un revenu "universel" disons, pas forcément élevé, qui me permette de me laisser aller à penser sans y penser à ce que j’écris. Avec ce temps divisé, éclaté, explosé littéralement, qu’il me reste pour écrire, je perds des subtilités, des chemins, sans doute j’en gagne d’autres, c’est sûr. Mais le poids psychique de toutes ces systèmes auxquels répondre, les différentes universités, où je ne suis plus un auteur invité, ou un écrivain qui vient parce qu’il est dans le travail d’écriture et peut s’adresser sous cette casquette aux étudiants ; non bien sûr j’y suis toujours allé principalement parce que je pouvais montrer comment coder, comment Internet fonctionne, et ensuite faire un lien avec l’écriture. Bref je suis devenu un professeur, et "auteur" a disparu, et ça me pose problème, je deviens une utilité. Et si j’utilisais une AI pour m’aider dans toutes ces tâches qui, finalement, se résument à produire du contenu. Et d’ailleurs, ce texte même, publié ici sur mon site, qui sait comment il a été écrit ?
Quant à ce journal, que j’ose à peine appeler journal tant il n’est pas régulier... Il faudrait que je publie chaque jour, ce que je note réellement chaque jour, même un fragment de phrase, un mot changé, ça donnerait des entrées plus courtes, parfois incompréhensibles, ou répétitives, des phrases commencées un jour, terminées un autre, avec entre les deux d’autres départs de phrases dont il faudrait attendre une semaine ou deux la conclusion, peut-être avant cela donner à une IA la charge de ces conclusions, en affichant plusieurs possibilités, ou le plus de possibilités, en boucle, ce serait probablement illisible, ce serait peut-être à faire.
*
La fin d’année aura-t-elle lieu ?
*
Plus
voulions être
vous
en votre oeil
ou sous
votre ombre
voulions
des miroirs de lapis
où multiplier
vos couronnes
larmes dures et
ciels étirés
le plein midi
Toi
dans chaque rive
et dans la lampe
blancheur
à l’infini
dans la gorge
à chaque fois.
*
Shakespeare prolongé par GPT-3 (source) :