Don : soutien financier
Flux RSS RSS (flux d'abonnement)

What would Rimbaud do ?

dimanche 31 octobre 2021

3 septembre 2021

J’écoute l’excellente Laura Vazquez dans Par les temps qui courent avec Mathilde Wagman, et je me dis que pour la critique tout n’est pas perdu, d’être encore capable d’entendre une langue, de parler du style, du texte. C’est Par les temps qui courent, c’est France Culture, ça ne court pas les rues, il faut le dire, on est à la frontière entre l’émission de critique et l’œuvre de création radiophonique parfois, et aussi, comme il se doit, de promotion (toujours l’actualité, ça je ne comprendrais jamais pourquoi ces émissions ont besoin de se situer dans l’actualité pure, on me dira que je me plains tout le temps et qu’autrement on se retrouverait avec des livres d’auteurs morts, et je répondrais qu’il y a sans doute un juste milieu, un livre qui a deux ans ou trois ans n’est pas un vieux livre, c’est une nouveauté pour moi, et c’est sans doute le meilleur moyen de parler des livres que d’attendre un, deux, ou trois ans voir s’il en reste quelque chose après ce temps, et aussi quelques années à laisser passer pour rattraper le retard et trouver un livre qui était passé inaperçu dans la masse d’une rentrée, il m’arrive souvent de lire un livre qui me fait une forte impression sur le moment, et c’est très bien, mais un an ou deux après, plus rien, le livre n’existe plus en moi, et rares sont les livres qui parviennent à laisser cette trace, alors on pourrait très bien parler des livres qui vont bientôt sortir, et des livres sortis entre il y a 0 jours et 5 ans (au pif), on serait encore en pleine nouveauté et actualité, mais passons ; et Guillaume le dit ici, le 22.9, très bien : "[les critiques] ne font pas avancer la question de la littérature, ni ne servent à en décrypter les rouages, elles délivrent simplement en bonne intelligence une fonction commerciale de promotion de l’ouvrage")), en tout cas, malgré ces biais, ou teintes, on trouve plutôt très souvent une vraie conversation, dans cette émission et d’autres de la station, et quelque chose semble encore possible, quelque chose à dire sur le comment écrire, ce qu’est le texte, la langue, ce que ça veut dire tout ça, pourquoi on le fait. Sans doute beaucoup pouvant faire fuir le lecteur, la lectrice qui cherche une expérience de lecture et se fiche bien, et c’est normal, de "comment" ça a été écrit, mais ce sont des indispensables pour ce qui me concerne, et puis aussi j’exagère un peu la place laissée à l’écriture ou à ce qu’on peut en dire. D’ailleurs pourquoi est-ce que ça me concerne ? Pourquoi est-ce que ça me semble important ? Plus que l’intrigue et la langue commune capable de raconter n’importe quelle histoire comme une série d’événements sans se poser la question de comment les dire. Pourquoi le comment me paraît important, vital ? Parce que j’écris. Mais quand je n’écrivais pas — non ça n’a pas existé. J’ai pourtant longtemps ignoré ce rapport entre forme et fond, ou pas compris immédiatement son importance qui m’a été tardivement révélée. Je savais que sans écriture il n’y avait pas de livre, donc il ne me restait qu’un pas à franchir pour me dire que plus il y a de travail, plus celui-ci doit être, au minimum, reconnu.

On a pourtant lu Rimbaud, Flaubert, Proust, Woolf, Joyce, Faulkner, Sarraute, Duras, j’en passe, Bessette, Hyvernaud, Calaferte, Char, Chedid et donc elles et eux reconnus, connus, on connait, tout le monde peut connaître, facile, voilà : on a lu ce qui "comptait" (décidément, qu’est-ce qu’un livre "important" ?), on a vu qu’il ne suffisait pas d’écrire la langue commune et raconter une histoire de la façon la plus accessible possible, au contraire chaque histoire ou texte doit (mais de quelle autorité ?) porter sa propre forme (la réponse peut-être, c’est cette autorité là, celle de la forme, qui commande), ses impératifs particuliers imposent une langue, alors on a travaillé ça, on a réfléchit ça, pour soi, ce que ça veut dire pour nous, et comment l’écrire de manière singulière, comme personne d’autre, malgré la masse autour qui nous pèse des livres "normaux", des livres "de compagnie", de cette écriture décorative, cette mise à la norme. Et de la difficulté d’avoir un recul sur son travail pour le juger, est-il si singulier que ça ? Si intéressant ?

Le livre de Laura est formidable, littéralement, sensationnel et "qui inspire la crainte", à se demander comment un tel prodige peut se retrouver sur des listes des prix et dans autant d’émissions et papiers littéraires, tellement ça tranche avec l’écriture commune habituelle. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, ça arrive de loin en loin, mais j’ai l’impression un seul livre à la fois, comme s’il fallait à chaque "rentrée" une caution stylistique à l’ensemble de l’écosystème économique écolittéraire écocequetuveux et qu’une seule suffit. Je ne peux pas tout lire d’une Rentrée, et d’ailleurs personne ne devrait, mais il se trouve que de la rentrée j’en lis trois qui non par hasard mais parce que j’ai de bonnes fréquentations, pourraient être des "cautions stylistiques" ; les deux autres sont Rivage au rapport, de Quentin Leclerc, et Saint-Just et des poussières d’Arnaud Maïsetti, dans des styles très différents les uns des autres, comme s’il était possible qu’il y en ait plus que trois, peut-être cinq, dix ? Trente ? Plus ? Comme si l’on pouvait entièrement programmer deux mois d’émissions littéraires avec exclusivement des livres qui font le job, dont "les phrases arrivent jusqu’au bout de la ligne". Et rien que de cette rentrée j’en ai d’autres sur ma liste de souhaits qui pourraient combler ce désir de style : Des îles de Marie Cosnay, Vie du poème de Pierre Vinclair, ... Et imaginons qu’il n’y en ait que dix : il faudrait ensuite arrêter d’écrire des articles, d’enregistrer des émissions. Diffuser des extraits de ces livres, et attendre les prochains livres qui fassent, au minimum, ce fameux job.

Partager cet article

Je crée du contenu sur le web depuis 2001. Ici, il n'y a pas de vidéo, mais comme tout créateur de contenu, j'accepte le soutien mensuel, ou ponctuel.

Rien à voir, mais vous pouvez faire trembler la page.