Norvège, 10
vendredi 8 août 2025
Le train à l’heure passe le long de lacs encore plus grands, d’une couleur de pierre. Les neiges se multiplient sur les sommets plats, et bientôt, si le train s’arrêtait, que l’on pouvait sortir, quelques pas seulement et on y serait. Plus loin, à 1200 mètres, un glacier. Il avance, lui aussi. Il n’y a plus d’arbres ici, que des rochers, des lacs, parfois une lande, et ce train que je ne vois pas, je ne vois pas les rails où je glisse, je ne suis que spectateur d’un monde où je n’irai pas. Effet Snowpiercer. C’est-à-dire effet SF de déplanétarisation, comme avec ces canicules à 60° de latitude nord, comme avec les slow sunsets, mais avec des pierres et des glaciers qui fondent.
Il y a du tourisme, si proche de ces paysages terminaux, des cyclistes, par exemple. Quelque chose efface autre chose, à regarder par la vitre, c’est un modèle compacté du monde qui traverse ces paysages, si l’on ouvrait toutes les valises, là, sur les cailloux et sur la glace, on verrait ce qui sépare deux mondes.
Je ne peux pas parler avec les gens, encore que tous, de toutes générations, parlent anglais. Mais je ne peux pas vraiment parler. Michaux, qui parle espagnol et passe des mois en Amérique du Sud, ne peut pas plus, je crois. Alors, ce serait définitivement impossible ?
Bergen est colorée, mais il fait gris. Il y a une foule, de la densité d’une station balnéaire française au plus beau de l’été. J’essaie de ne pas me reprocher d’être là, je ne reproche pas aux gens d’être là. Peut-être aux commerces d’y être. Mais il faut bien vivre. Je me demande à quoi ressemblerait la société humaine sans le commerce. Comment serait organisé l’accès à la nourriture, à un logis, sans qu’il y ait besoin de contrepartie immédiate ?
Ici, dans les rues sinueuses, escarpées, pavées en arc, les chaussées pentues bénéficient d’une ligne centrale, juste assez large pour marcher, faire de pavés posés de façon légèrement inclinée pour faire ressortir leurs arêtes, et non leurs faces lisses, pour éviter les glissades, on l’imagine, par temps de pluie ou l’hiver, par le gel.
Sous une pile de brochures, l’appartement dissimule un recueil de pièces de théâtre nordiques modernes traduites en anglais, publié en 1974 et désherbé de la bibliothèque de l’université de la ville. Je lis une courte pièce radiophonique de Johan Bergen, The House, traduite par Pat Shaw, que je trouve très forte. J’ai donc lu deux pièces norvégiennes, Peer Gynt d’Ibsen, il y a quelques années, et celle-ci.