Norvège, 12
mardi 12 août 2025
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Le fjord commence large, et bas, avec ponts suspendus, ville encore, immeubles et industrie, puis vue sur les montagnes dans différents niveaux de brumes, puis se rétrécit tandis que ses bords s’escarpent. C’est difficile à décrire, car les paysages changent beaucoup, et la lumière aussi. Nuages, pluie, soleil, alternent rapidement avec l’avancée du bateau, et une île rocheuse dévoile soudain une église, une cascade surgit de cent ou deux cents mètres plus haut, le long de pierres sombres taillées par la serpe du glacier qui s’est retiré il y a bien longtemps, mais laisse une eau douce flottant au-dessus de l’eau salée. Et puis c’est ensuite une colline d’un vert éclatant comme un bonbon à la pomme, d’où sortent deux ou trois maisons typiques, planches de bois blanc, moutarde ou rouge, et toit sombre, parfois vernissé. Des câbles tirés acrobatiquement de pylône penché en pylône caché dans les pins, sur la pierre. Le bateau ralenti au moment fort d’un passage étroit d’où l’on pourrait toucher la pierre, et met dans les hauts parleurs la musique du prélude de Peer Gynt de Grieg ! Combien de photographies identiques et ratées sont prises alors ? Impossible de casser les hauts parleurs, impossible de jeter le commandant par-dessus bord. Envie de sauter à l’eau, trois mètres plus loin il y a pied, et des cailloux où s’asseoir, attendre que la foule parte, que le silence s’installe dans ce qui est, si on le voit d’en haut, le fond d’un ravin. C’est trop beau pour être dit, trop sauvage, trop pour être visité. Une honte touristique s’empare de moi. Mais je ne regrette pas d’avoir vu. Encore une fois la question de ce qui est beau et pourquoi, se pose. Qui vit dans cette maison isolée ? Pourquoi ici ? Je ne le saurais jamais. Et si on allait plus loin ? On dit qu’un autre fjord est plus beau, plus majestueux, comment est-ce possible ? La question aussi de savoir pourquoi regarder, pourquoi se souvenir, pourquoi cette nécessité de découvrir ce qui se cache derrière le prochain bras du fjord, derrière cette île, derrière cette paroi, ce qu’il y a au bout du monde sans pourtant rencontrer personne, juste soi dans un environnement qui n’existait pas la minute d’avant.
Fjord, glacier en fuite, parti il y a longtemps. Laisse à la surface l’eau douce qu’il fut. Saumâtre au fond.
Écrire autre chose, attendre et ne plus penser journal, jour le jour et rapport de choses vues, dans l’incapacité de toucher le réel. Arrêter le regard.