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Norvège, 3

mardi 5 août 2025

L’opéra, du cabinet d’architecture Snøhettame, inauguré en 2008, me rappelle la Philharmonie de Paris, de Jean Nouvel, inaugurée en 2015. Les plans inclinés et la façon de pouvoir marcher dessus. Sans plus, cette perspective, le sens que prend le regard pour voir le bâtiment. L’intérieur, aucun rapport, la forme du bâtiment central non plus, mais quelque chose dans la façon d’y déambuler. Peut-on plagier un mouvement de foule induit ?

Entre l’opéra et musée Munch, une minuscule plage. Des gens se baignent dans l’eau du fjord. Aucun cri, aucune angoisse. Trois femmes vêtues en orange marchent le long de l’opéra jusqu’au musée, et retour, elles distribuent de la crème solaire (en tube orange), jusqu’à l’étaler sur les épaules, les dos offerts, et proposent les jambes à une touriste française qui refuse et préfère le faire elle-même.

Au musée (simplement "MUNCH" écrit en capitales italiques sur le fronton, comme un cri) il y a trois versions du célèbre tableau, visibles à tour de rôle. La gravure reste le plus longtemps, je crois. Les deux autres, une heure chacune. Pastel sur carton, et gouache, huile et tempera sur carton.
Le tour à tour est fait comme suit. Une salle obscure dans la grande salle du quatrième étage est délimitée par quatre murs noirs sans coins, laissant toutefois une bonne obscurité. Sur un mur, il y a les cartels, sur les trois autres les emplacements pour les tableaux. Deux emplacements sont fermés, des volets coulissants noirs recouvrent les œuvres. Un seul emplacement est ouvert, et éclairé, pendant un temps limité. Les cartons utilisés par Munch sont aujourd’hui détériorés. L’un a connu la moisissure. La chimie de la couleur jaune lui vaut d’être plus fragile que le bleu, ou le rouge. Une guide anglophone, dont le groupe brandira les téléphones pour photographier avant même d’avoir regardé, et aussi sans regarder du tout ensuite, explique que nous pouvons encore voir Le Cri, mais que d’ici quelques générations, il n’y aura plus rien. C’est saisissant, ce qu’elle dit, car ce cri existentiel peint voilà bientôt un siècle (juste avant l’Angoisse, ici en photo), fait écho à nos propres cris qui dans un siècle seront étouffés, inaudibles, dans l’air irrespirable et brûlant d’une société politique autoritaire et sourde, ou la liberté et le vivant ne seront plus menacés mais réduits en poussière de carton moisi.

Je préfère le Cri pastel. Plus grande liberté de trait dans les masses colorées, yeux dessinés chacun en un geste vif, pas repris, un geste qui a eu lieu une fois, sur ce carton, avec tel crayon. Peut-être un geste longuement réfléchi, mais ce qui reste c’est ce mouvement instantané, et certainement différent des essais faits au brouillon, peut-être, s’ils existent, je ne sais pas, mais à un moment donné c’est ce trait qui reste. Une improvisation qui me rappelle la recherche de Mark Hollis sur le meilleur morceau de musique, le meilleur riff qui serait celui qu’on joue la première fois, le reste ne pouvant être qu’amoindri par les tentatives de reproduire ce qui n’est plus.

Comment regarder un tableau ? Comme un paysage ? Comme un livre ? C’est difficile. Le prendre en photo est rassurant, il est à nous, ça y est. Le problème : personne n’explique comment regarder. La guide raconte l’histoire du tableau, éventuellement va donner un sens à la toile, unique, donné comme ça, la crise existentielle, moi-même je reprends ça, ici, c’est ce qui est communément admis, elle donne ça sans explications ni variations. Ne dit rien de la peinture, et personne ne sait trop comment dire quelque chose sur la peinture que l’on voit. Le mélange des techniques, l’effet produit dans le ciel, les silhouettes fantomatiques à gauche, le peu de traits pour les bateaux, le mélange d’eau du fjord et de ciel couchant, de ces ciels qui prennent le temps de s’éteindre, ou ne s’éteignent jamais, dans le Nord du pays, l’ombre définitive dans l’eau et la sorte de combat d’un bleu clair, à côté...

Citation de Munch que l’on trouve partout, pas de nom de traducteurice :

Je me promenais sur un sentier avec deux amis — le soleil se couchait — tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture — il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville — mes amis continuèrent, et j’y restai, tremblant d’anxiété — je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature.

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