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Je reconnais le pays étranger où j’arrive au magasin Baguette qui m’accueille.

Les tarifs pratiqués par les distributeurs automatiques des banques vont m’empêcher de manipuler des couronnes norvégiennes. Tout est électronique, comme les Souvenirs sur les plateformes sociales.

Finalement : des milliers de kilomètres pour voir des tilleuls alignés sur un trottoir. Je devrais arrêter de lire Michaux. Quitter une canicule pour en trouver une autre, qui surprend les locaux.

Il faut raconter la chaleur qui épuise, impose de boire jusqu’à trois litres par jour, et plus, et à se mouiller la peau, les cheveux, pour tenir jusqu’au soir où il faut attendre la température d’équilibre entre le dedans et le dehors pour ouvrir les fenêtres, espérer du vent, et prendre une douche froide, et s’endormir en mouillant une chemise ou une serviette pour dormir dessus ou dessous selon les goûts, et se relever boire encore la nuit. Toutes ces nouvelles habitudes qui s’inventent, comme celle de la couverture inversée qui ne protège plus du froid, mais du chaud. Et l’appartement loué ou l’aération typique des hôtels ne sait pas faire de climatisation, car la Norvège n’est pas prévue pour ça, plutôt pour garder la chaleur et mettre de grandes vitres tournées vers le sud. Il va falloir transformer l’urbain, ici. Et son sol de salle de bain qui chauffe automatiquement sans pouvoir être stoppé, jusqu’à l’intervention du bureau national ou international de la chaîne type Appart’hôtel, qui après sans doute plusieurs plaintes, et face aux températures jamais vécues ici, a décidé de couper ce chauffage, à distance.
En fait non, le soir il redémarre.

Je ne vais faire que te suivre : aller aux endroits où tu es allé, visiter les villes que tu as traversées, chercher les monuments que tu as décrits. Mais je vais le faire avec les moyens d’aujourd’hui : avec la vitesse, les frontières ouvertes, et le numérique. Je serai touriste là où tu as été voyageur. Femme seule où tu fus homme accompagné. Je partagerai toutefois avec toi, à bien des égards, le statut de privilégiée.
(Lou Sarabadzic écrit à Michel de Montaigne, dans son livre Notre vie n’est que mouvement, Publie.net, 2020)

Dans la rue, l’enfant japonais marche derrière sa mère et tète littéralement au sac à dos de celle-ci à une gourde qui y est dissimulée, par un tuyau qui en sort, recouvert de tissu imitant un cordon ombilical. Il fait ça tout en marchant, j’ai pendant un instant l’impression qu’il ne peut pas, au prix de sa vie, détacher sa bouche de ce tube. Je ressens pendant ces quelques secondes un malaise comme un effet Cronenberg.

Dans le supermarché ouvert jusque 23 h, comme aux guidons des vélos transportant des livraisons de plats à domicile, comme dans les restaurants du quartier cosmopolite, des personnes racisées travaillent tard, alors que dans le guide Vert est annoncé que les norvégien·nes aiment leur confort de quitter à 17 h. Mais ici comme dans toutes les capitales, travail précarisé rime avec travail racisé. (Ce qui sera moins vrai dans d’autres villes.) Et puis les prix aussi, de tout, si élevés, surtout les restaurants, comment peut-on vivre, sortir, ici ?

À trois heures, c’est déjà l’aube.

 

 

 

 

 

 

Mais d’Oslo, je n’ai rien vu, qu’un quartier vraiment, le reste en passant. On ne peut pas écrire sur un peuple, mais sur une personne. On ne peut pas écrire sur un pays, ni sur une ville, mais sur une rue, un immeuble. On ne peut pas écrire en touriste.

L’opéra conçu par le cabinet d’architecture Snøhettame et inauguré en 2008 me rappelle la Philharmonie de Paris, de Jean Nouvel, inaugurée en 2015. Les plans inclinés et la façon de pouvoir marcher dessus. Sans plus, cette perspective, le sens que prend le regard pour voir le bâtiment. L’intérieur, aucun rapport, la forme du bâtiment central non plus, mais quelque chose dans la façon d’y déambuler. Peut-on plagier un mouvement de foule induit ?

Entre l’opéra et musée Munch, une minuscule plage. Des gens se baignent dans l’eau du fjord. Aucun cri, aucune angoisse. Trois femmes vêtues en orange marchent le long de l’opéra jusqu’au musée, et retour, elles distribuent de la crème solaire (en tube orange), jusqu’à l’étaler sur les épaules, les dos offerts, et proposent les jambes à une touriste française qui refuse et préfère le faire elle-même.

Au musée (simplement "MUNCH" écrit en capitales italiques sur le fronton, comme un cri) il y a trois versions du célèbre tableau, visibles à tour de rôle. La gravure reste le plus longtemps, je crois. Les deux autres, une heure chacune. Pastel sur carton, et gouache, huile et tempera sur carton.

Le tour à tour est fait comme suit. Une salle obscure dans la grande salle du quatrième étage est délimitée par quatre murs noirs sans coins, laissant toutefois une bonne obscurité. Sur un mur, il y a les cartels, sur les trois autres les emplacements pour les tableaux. Deux emplacements sont fermés, des volets coulissants noirs recouvrent les œuvres. Un seul emplacement est ouvert et éclairé pendant un temps limité. Les cartons utilisés par Munch sont aujourd’hui détériorés. L’un a connu la moisissure. La chimie du jaune vaut à cette couleur d’être plus fragile que le bleu, ou le rouge. Une guide anglophone, dont le groupe brandira les téléphones pour photographier avant même d’avoir regardé, et aussi sans regarder du tout ensuite, explique que nous pouvons encore voir Le Cri de nos jours, mais que d’ici quelques générations, il n’y aura plus rien. C’est saisissant, ce qu’elle dit, car ce cri existentiel peint voilà bientôt un siècle (juste avant L’Angoisse, le visage ici en photo), fait écho à nos propres cris, qui dans un siècle seront étouffés, inaudibles, dans l’air irrespirable et brûlant d’une société politique autoritaire et sourde, ou la liberté et le vivant ne seront plus menacés mais réduits en poussière de carton moisi.

Je préfère le Cri pastel. Plus grande liberté de trait dans les masses colorées, yeux dessinés chacun en un geste vif, pas repris, un geste qui a eu lieu une fois, sur ce carton, avec tel crayon. Peut-être un geste longuement réfléchi, mais ce qui reste c’est ce mouvement instantané, et certainement différent des essais faits au brouillon, peut-être, s’ils existent, je ne sais pas, mais à un moment donné c’est ce trait qui reste. Une improvisation qui me rappelle la recherche de Mark Hollis sur le meilleur morceau de musique, le meilleur riff qui serait celui qu’on joue la première fois, le reste ne pouvant être qu’amoindri par les tentatives de reproduire ce qui n’est plus.

Comment regarder un tableau ? Comme un paysage ? Comme un livre ? C’est difficile. Le prendre en photo est rassurant, il est à nous, ça y est. Le problème : personne n’explique comment regarder. La guide raconte l’histoire du tableau, éventuellement va donner un sens à la toile, unique, donné comme ça, la crise existentielle, moi-même je reprends ça, ici, c’est ce qui est communément admis, elle donne ça sans explications ni variations. Ne dit rien de la peinture, et personne ne sait trop comment dire quelque chose sur les couleurs et formes que l’on voit. Le mélange des techniques, l’effet produit dans le ciel, les silhouettes fantomatiques à gauche, le peu de traits pour les bateaux, le mélange d’eau du fjord et de ciel couchant, de ces ciels qui prennent le temps de s’éteindre, ou ne s’éteignent jamais, dans le Nord du pays, l’ombre définitive dans l’eau et la sorte de combat d’un bleu clair, à côté...

Citation de Munch que l’on trouve partout (pas de nom de traducteurice) :

Je me promenais sur un sentier avec deux amis — le soleil se couchait — tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture — il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville — mes amis continuèrent, et j’y restai, tremblant d’anxiété — je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature.

"Comment n’écrirait-on pas sur un pays qui s’est présenté à vous avec l’abondance des choses nouvelles ?"

Michel Bouquet lit Henri Michaux (France Culture, 1965)

Dans un autre musée, je regarde longuement le sol de marbre, ses agencements de couleurs. Mon regard part de la place centrale, où les pieds de la foule circulent, jusqu’à une marge rouge délimitée elle-même par une rangée d’un damier noir et blanc de deux cases de large. La marge de la marge. Il y a encore des interstices entre ces carreaux où circuler librement semble possible.

Une cuiller un bois de huit siècles, avec son bol fendu. On en a bu de la soupe ici.

Le musée me rappelle un fait que j’avais rencontré pour l’écriture de HH : la poussière volcanique de plusieurs éruptions de 535, dont le Krakatoa, avait refroidi la planète pour plusieurs années, provoquant famines et bouleversements sociaux et politiques.

Ailleurs, plus haut. Paysages aux reflets méditerranéens, de perspective lumineuse, bleue, arène aux exploits sportifs, reliefs et îles.

Pensées élancées, devant des tribunes vides.

Seulement, j’ai l’impression de déjà connaître ce pays inconnu où pourtant je n’entends pas la langue.

Les noms de juifs déportés d’Oslo, gravés sur des plaques carrés, dans le trottoir. Le marteau brisant la croix gammée devant la gare. Pays de résistance, dont le roi et le gouvernement officiel rejoignent Londres en 40. Les nazis trouvent aussitôt des politiciens fascistes pour collaborer sur place, car il y se trouve toujours des gens pour obéir.

Le train promettait des paysages qu’il a su tenir au prix d’une seule heure de retard.

À quel moment a pu naître le sentiment de paysage ? Quand est-ce que l’animal ou l’humain que nous sommes a pu se sentir un jour heureux à la vue d’un lac noir au pied de monts escarpés ? Peut-être les animaux non-humains le vivent-ils, après tout. Comme ce cheval, dans Ecuador de Michaux, qui reconnaît une pierre de son pays venteux. Comment déterminer ce que c’est que d’apprécier un décor naturel pour sa beauté, ou en tout cas ce qu’il nous procure comme sentiment ? On dit que c’est beau. On veut peut-être dire que c’est vital.

Il est 21 h 17 quand le soleil descend enfin derrière le sommet de la montagne taillée pour les descentes à skis, peut-être à cinq kilomètres d’ici, et 1000 mètres d’altitude. Elle dissimule le sommet local, aux neiges éternelles, à 1900 mètres, un peu plus loin dans la réserve nationale. Le ciel est celui d’un 20 h à Paris. Il va rester comme ça longtemps. Car c’est aussi plus lent.

Je ne sais pas choisir une photo qui serait censée représenter telle ou telle phénomène propre à ce pays. Que je puisse croire la chose possible, m’étonne.

Geilo. On perd le fil des jours de la semaine. Heureusement, j’ai pour moi l’algorithme du Jour du Jugement Dernier, de John Conway, mon mathématicien préféré. Et c’est ainsi que je m’amuse à vérifier ce « lundi 4 avril 1928 », dans Ecuador.

Voir l’encart ci-contre au sujet de cet algorithme

La puce à l’oreille à cause du "lundi 5 avril" qui suit dans le texte, quelque chose ne va pas. Je vérifie, et le 4 était un mercredi. Le dernier jour correct de sa datation est le « mercredi 21 mars ». Le premier jour faux, « dimanche 3 avril », est celui où il prend de l’éther. Il faut attendre le 5 août pour retrouver un jour de la semaine correct, dimanche (en fait, ils ne sont pas toujours notés devant la date).

 

 

Sur la carte de la limite jour-nuit, on observe que l’aube et le crépuscule sont plus larges, on passe plus de temps dans cette épaisseur. C’est une carte qui montre le planisphère mondial à plat, sous forme d’un rectangle, et la partie de la Terre à l’ombre est délimitée par une forme qui change au cours de l’année. L’hiver, le Pôle Nord et dans le noir, l’été c’est le Pôle Sud, et au printemps et à l’automne, les deux sont un peu dans le gris. Cela forme une tache d’ombre qui se déplace tout au long de l’année. Et l’été, ici, ce qu’il se passe : le soleil met plus de temps à se coucher. Car la courbe de la limite s’allonge vers le Pôle jusqu’à redescendre, et dans cette élongation, l’épaisseur de flou, d’entre-deux, grandit. C’est au ralenti que le soleil se couche si tard. Comme si le temps s’arrêtait, comme cette idée qu’on a parfois de désirer que la journée s’éternise, comme si ce vœux impossible se réalisait enfin. Dans ce mouvement lent, vient un sentiment de paix, d’éternité, mais aussi un effroi face à la possibilité que la Terre s’arrête de tourner. C’est à la fois la vie prolongée et la vie arrêtée.

Il faut savoir (on peut regarder un calendrier de l’année pour s’en convaincre), que pour toute année donnée, les 4 avril, 6 juin, 8 août, 10 octobre et 12 décembre (4/4, 6/6, 8/8, 10/10 et 12/12) tombent tous le même jour de la semaine. Pour les mois impairs il y a d’autres moyens mnémotechniques pour se souvenir qu’ils sont : le 3 janvier (ou le 4/1 les années bissextiles), puis le 28 (ou le 29 février ; ou encore le "0 mars" comme le dit Conway, qui se trouve être toujours la veille du 1er mars, avec cette dénomination), 9/5, 11/7, 5/9 et 7/11. Par exemple en 2025, c’est vendredi. L’an dernier c’était jeudi et l’an prochain ce serai samedi. On peut le calculer de tête, ce fameux "Doomsday", à partir du nombre de l’année 2025. Je reprends la méthode ici, bien expliquée sur le site timeanddate.com

Quelques règles de base :

Une fois ceci établi, si l’on veut savoir quel jour tombe le 5 avril 1928. On calcule donc le doomsday de l’année de la manière suivante (sans entrer dans le détail de pourquoi ces opérations, mais on se doute que ça a à voir avec le fait qu’il y a 12 mois, 7 jours de semaine etc.).

Nous avons le doomsday de 1928 ! C’est mercredi (3). Donc le 4 avril 1928 est un mercredi (c’est le 4/4 mnémotechnique de tout à l’heure), et le 5 avril était un jeudi, et non pas un lundi.

Il existe d’autre moyens de se rappeler des mêmes calculs, et même un poème.

Visualiser la limite jour-nuit en temps réel

Publicités YouTube norvégiennes.

Dans la forêt numérique, les petits poucets laissent des cailloux de données permettant aux ogres du comportement de mieux les pister.

Sur ce territoire, je vois sur insta que je suis devancé à la prochaine étape.

Aux bords de routes, les fleurs sont nombreuses, denses, lupins violets, épilobes roses, et leurs abeilles et bourdons assortis. Tellement nombreuses. Et l’herbe est véritablement plus verte en Norvège qu’ailleurs. La nature est en bonne santé ici. Et douze fois moins d’humains, pour un territoire plus grand sur nos vieilles projections de planisphère, en réalité moins spacieux ; mais l’impression qu’il est plus vaste demeure. Je n’entends que peu d’oiseaux cependant. Quelques martinets, qui ne dépaysent pas beaucoup. Six pies.

Si je regarde un carré d’herbe : exactement ce que je connais. Trèfle, pissenlit, etc. Mais vert, d’un vert.

Et puis dans ce décor idyllique, soudain, un transformateur électrique assez énorme, des pylônes et câbles haute-tension. Il faut bien alimenter les pistes un peu plus loin. Cachés dans les fourrés : des tubes métalliques de canons à neige. Et même : le robinet des canons. Ensuite, de drôles de bandeaux de bitume bien lisses, sans marquage, et sans destination, valent et dévalent ces buissons, bosquets, buttes fleuries, au son de la rivière qui se jette sur les rochers. Raccourci pour le village. Mais où vont-ils, ces chemins en dur ? Deux ou trois skieurs et skieuses à roulettes y foncent à grands coups de bâtons. Et soudain s’arrêtent, il y a une longue barrière avec des nombres, et trente ou cinquante mètres en face des nombres correspondants au-dessus de cinq trous ronds alignés. Une skieuses à roulettes sort un fusil, épaule, et claque trois cibles sur cinq, au bout de la ligne numéro 28. Repart aussi sec, mécontente, et bat le bitume. Clac, clac ! Étranges mœurs de montagne…

Le train de marchandise fait vibrer les petites huttes au toit recouvert d’herbe. Puis c’est le Bergen-Oslo de 18 h 50.

Deux orages se repoussent l’un l’autre, nous n’aurons rien que leurs vents croisés rafraîchissants. La rivière n’arrête jamais son flux sonore contre les pierres et contre elle-même, pour le moment.

[.. ... ..]
Le train à l’heure passe le long de lacs encore plus grands, d’une couleur de pierre. Les neiges se multiplient sur les sommets plats, et bientôt, si le train s’arrêtait, que l’on pouvait sortir, quelques pas seulement et on y serait. Plus loin, à 1200 mètres, un glacier. Il avance, lui aussi. Il n’y a plus d’arbres ici, que des rochers, des lacs, parfois une lande, et ce train que je ne vois pas, je ne vois pas les rails où je glisse, je ne suis que spectateur d’un monde où je n’irai pas. Effet Snowpiercer. C’est-à-dire effet SF de déplanétarisation, comme avec ces canicules à 60° de latitude nord, comme avec les slow sunsets, mais dans les pierres et les glaciers qui fondent.

Il y a du tourisme, si proche de ces paysages terminaux, des cyclistes, par exemple. Quelque chose efface autre chose, à regarder par la vitre, c’est un modèle compacté du monde qui traverse ces paysages, si l’on ouvrait toutes les valises, là, sur les cailloux et sur la glace, on verrait ce qui sépare deux mondes.

Je ne peux pas parler avec les gens. Michaux, qui parle espagnol et passe des mois en Amérique du Sud, ne peut pas plus, je crois. Alors, ce serait définitivement impossible ? Je ne sais pas, pourtant, toutes et tous ici, de toutes générations, parlent anglais. Comme cette dame âgée, à Geilo (la veille) qui sort chercher son courrier dans sa boîte aux lettres, à quelques dizaines de mètres de chez elle, dans le petit abri où sont centralisées toutes les boîtes du quartier. Elle parle de Bergen où elle a grandi, qu’elle n’a pas revu depuis longtemps peut-être, se souviens de baignades dans le fjord. Je l’écoute, ne sait que dire, sauf que nous irons voir ce fjord et peut-être cette plage. Mais est-ce que je parle vraiment ?
[.. ... ..]

Bergen est colorée, mais il fait gris. Il y a une foule, de la densité d’une station balnéaire française au plus beau de l’été. J’essaie de ne pas me reprocher d’être là, je ne reproche pas aux gens d’être là. Peut-être aux commerces d’y être. Mais il faut bien vivre. Je me demande à quoi ressemblerait la société humaine sans le commerce. Comment serait organisé l’accès à la nourriture, à un logis, sans qu’il y ait besoin de contrepartie immédiate ?

Ici, dans les rues sinueuses, escarpées, pavées en arc, les chaussées pentues bénéficient d’une ligne centrale, juste assez large pour marcher, faite de pavés posés de façon légèrement inclinée de manière à ce que leurs arêtes ressortent, anguleuses, et non leurs faces lisses, évitant ainsi les glissades, on l’imagine, par temps de pluie ou l’hiver, par le gel.

Sous une pile de brochures, l’appartement dissimule un recueil de pièces de théâtre nordiques modernes traduites en anglais, publié en 1974 et désherbé de la bibliothèque de l’université de la ville. Je lis une courte pièce radiophonique de Johan Bergen, The House, traduite par Pat Shaw, que je trouve très forte. J’ai donc lu deux pièces norvégiennes, Peer Gynt d’Ibsen, il y a quelques années, et celle-ci.
← Et une autre de Finn Havrevold.

Åke
Tu es l’artiste, tu es censé créer. Je suis censé posséder ce que tu crées. C’est seulement parce que je peux posséder ces choses que je deviens humain. Je peux grandir, agir... Être moi-même... seulement à travers ce que je possède. (Avec plus de force) Et je ne peux partager ma conscience d’être ce que je suis avec personne. C’est pourquoi le collectivisme, tout le discours sur la propriété collective, et tout ce que ça veut dire, est d’une naïveté à faire dresser les cheveux sur la tête. Et plus encore. C’est abandonner toute valeur humaine. Le collectivisme élève des bêtes sauvages. Le collectivisme a besoin de bêtes sauvages.

Erik
Tu mènes la bataille du mort contre la vie, et tu vas perdre. Pourquoi faire ? Tu as déjà perdu ! Pourquoi te caches-tu ?

Åke
Tu me poses la question ? Tu ne vois pas que j’ai arrêté d’exister quand ils m’ont pris mes biens ? Je n’ai pas perdu mon travail, la base de la vie... Je me suis perdu moi-même ! J’ai mis la main sur un revolver à l’époque et je l’ai toujours. Je me cache parce que je sens que je suis devenue une bête. Une bête idiote. (Il se lève, ne voit pas Helle qui se tient devant la porte de la chambre.) Tu comprends ce que j’ai traversé, maintenant ? Tu réalises l’injustice, Erik ?

Finn Havrevold, L’Injustice, 1955. Traduction de la traduction de /oublié de noté le nom mais il y a un exemplaire en magasin à la BNF !/

Ici, le Troll Museum n’est pas une anthologie de tweets toxiques.

Cette pierre a été taillée et posée voilà 8 siècles. Elle n’a pas bougé depuis. Certains projets, peu nombreux, tiennent le long terme.

À 643 mètres d’altitude, on voit l’horizon à 90 km.

En France, il y a des interdictions, des barrières, des indications. Ici, rien, tout est À vos risques et périls. C’est la responsabilité individuelle qui est engagée, de traverser la chaussée au rouge quand il n’y a personne, jusqu’à la randonnée sur un chemin sans balise, sans relai 4 g, fait de pierres glissantes, ou jusqu’à la plage située sur la route des bateaux, secouée des vagues des paquebots, sans balises jaunes flottantes. On fait appel à la conscience du danger plutôt que d’interdire par prévention.

 

Une autre façon de le dire, est que des gens ont eut la force de venir s’installer dans le Nord, il y a longtemps, pour repousser le coucher du soleil l’été, et son lever l’hiver, et leur réussite est encore visible aujourd’hui, des milliers d’années plus tard. Et encore, je n’ai pas été très au nord dans ce pays. 60.739214 est la latitude la plus haute où je sois allé. C’était dans le train, entre Geilo et Bergen, dans le virage quelques minutes avant qu’il ne s’arrête à Myrdal. Il y a Trondheim à plus de 63°, Hammerfest encore plus haut. Il y a une fascination à se dire : Je peux aller un mètre de plus que le plus au nord que j’ai jamais été. Ça aurait été le problème, pour moi, de marcher dans la lande et de me dire à chaque pas que c’est le plus haut que je sois allé. Au moment de faire demi-tour, j’aurais voulu faire juste un pas de plus. Et puis, allez, encore dix mètres. Et pourquoi un pas encore ? Et je ne serais jamais revenu. Toute la scène dans un de ces lents couchers du soleil, doucement, doucement.

 

 

 

Là-haut, il y a des endroits où, en ce moment, le soleil ne se couche pas. Drôle de rêve pour un insomniaque.

 

 

 

Les mouettes ne parlent pas beaucoup, sont économes de leurs cris. Dans le centre touristique, il y en a peu, isolées, éparpillées, on peut manger tranquillement. Si l’une d’entre elle vous surprend un sandwich à la main, elle criera en vain, seule, incapable de rameuter suffisamment d’alliées pour vous le voler. Alors elle prendra une mine triste, un cri plaintif, marchera ou nagera comme un canard pour vous manipuler et obtenir une miette. En revanche, le quartier de la gare, gare de marchandises, et plus loin dans les quartiers non touristiques, dans la périphérie, c’est autre chose. Le tissu mouettiste est très resserré, bien organisé, une sentinelle perchée sur un lampadaire repère votre kanelsnurr et aussitôt, il lui suffit d’un ou deux cris aigus et toute une armée se précipite, il vous faut immédiatement cacher la nourriture et fuir l’encerclement en courant autour du lac.

Quelques généralités plus ou moins exactes sur la Norvège, les Norvégiens et les Norvégiennes, à part le fait qu’iels sont gentils et très service.

Le fjord commence large, et bas, avec ponts suspendus, ville encore, immeubles et industrie, puis vue sur les montagnes dans différents niveaux de brumes, puis se rétrécit tandis que ses bords s’escarpent. C’est difficile à décrire, car les paysages changent beaucoup, et la lumière aussi. Nuages, pluie, soleil, alternent rapidement avec l’avancée du bateau, et une île rocheuse dévoile soudain une église, une cascade surgit de cent ou deux cents mètres plus haut, le long de pierres sombres taillées par la serpe du glacier qui s’est retiré il y a bien longtemps, mais laisse une eau douce flottant au-dessus de l’eau salée. Et puis c’est ensuite une colline d’un vert éclatant comme un bonbon à la pomme, d’où sortent deux ou trois maisons typiques, planches de bois blanc, moutarde ou rouge, et toit sombre, parfois vernissé. Des câbles tirés acrobatiquement de pylône penché en pylône caché dans les pins, sur la pierre. Le bateau ralenti au moment fort d’un passage étroit d’où l’on pourrait toucher la falaise, et met dans les hauts parleurs la musique du prélude de Peer Gynt de Grieg ! Combien de photographies identiques et ratées sont prises alors ? Impossible de casser les hauts parleurs, impossible de jeter le commandant par-dessus bord. Envie de sauter à l’eau, trois mètres plus loin il y a pied, et des cailloux où s’asseoir, attendre que la foule parte, que le silence s’installe dans ce qui est, si on le voit d’en haut, le fond d’un ravin. C’est trop beau pour être dit, trop sauvage, trop pour être visité. Une honte touristique s’empare de moi. Mais je ne regrette pas d’avoir vu. Encore une fois la question de ce qui est beau et pourquoi, se pose. Qui vit dans cette maison isolée ? Pourquoi ici ? Je ne le saurais jamais. Et si on allait plus loin ? On dit qu’un autre fjord est plus beau, plus majestueux, comment est-ce possible ? La question aussi de savoir pourquoi regarder, pourquoi se souvenir, pourquoi cette nécessité de découvrir ce qui se cache derrière le prochain bras du fjord, derrière cette île, derrière cette paroi, ce qu’il y a au bout du monde sans pourtant rencontrer personne, juste soi dans un environnement qui n’existait pas la minute d’avant.

 

 

Fjord, glacier en fuite, parti il y a longtemps. Laisse à la surface l’eau douce qu’il fut. Saumâtre au fond.

 

 

 

Écrire autre chose, attendre et ne plus penser journal, jour le jour et rapport de choses vues, dans l’incapacité de toucher le réel. Arrêter le regard.

Retour du fjord.
Bateau à quai, pied à terre.
Plus rien ne flotte.

 

Vu une seule fois des policiers. "Politi". De fait, "police politique" se dit "Politisk politi". Le site de la Police Nationale Française me rappelle que :


Le mot "police" vient du latin politia qui, lui-même, trouve son origine dans le grec politeia (art de gouverner la cité), lequel dérive du mot polis (cité, ville). En vieux français, pollice signifiait "gouvernement".

Rien que ça.

Le dernier jour, dans l’aéroport il y aura un chien renifleur cherchant monnaie non pas seulement de la drogue, mais des billets, 1000 couronnes autorisées. "She reacts to the sound of it".

 

C’est aussi écrire le Journal éclaté enfin sans l’actualité, et pourtant ne pas être détaché du monde. L’overdose quotidienne habituelle de maintenant et d’ici est coupée par un "là-bas" où pourtant je me trouve. Je pourrais y aller voir, dans l’ici, mais "là-bas", on s’en détache plus facilement. Le monde existe toujours, et je le vois, le ressens, même si je n’en dis rien, n’en écris rien, ne proclame rien. Même pas envie de participer au flux des photographies d’été, pas tout de suite (ensuite, si).

Comme si je comprenais mieux que tout le flux habituel, autoritaire, était fait pour voter, visait le matraquage pour des raisons évidentes d’influence. Ce mot, d’influenceur, influenceuse, aussi, existe, mais pas toujours appliqué à qui il devrait. Comme s’il fallait être abondamment nourri de flux de faits, alors que depuis qu’on a ce régime de l’actu omnipotente, disons, rien ne s’arrange, sauf l’extrême-droite, force est de constater. On pourrait essayer le contraire total, après tout. Mieux vaut pas d’informations, avoir à la place des connaissances, des expériences. Rien ne sert d’être informé en permanence de tout, fausses infos, vraies infos, infos prétendument neutres, il suffit d’avoir le cœur de décider, le moment venu, de dire Non, de refuser la mort des innocents, l’exploitation des faibles, la toute puissance et l’immunité des riches. Rien d’autre.

Plus tard, après quelques kanelsnurrer, vu la maison du compositeur Edvard Grieg, mais dans une organisation, un mouvement vers l’avant, calculateur, une main dans le dos du tourisme local qui empêche de prendre le temps, de poser des questions, de savourer les poutres en bois, le vieux piano, la toile, le meuble, l’air, le calme. De toute façon plus rien n’existe, on entend l’autoroute, les avions. Non loin, une petite église, au milieu des arbres, lieu paisible, reposant, mais soudain autour du bâtiment : des grillages barrent la vue, un guichet l’accès.

Vers Stavanger.

On ne peut rien contre la beauté d’un paysage.

Travelling du ferry. Parfois ce n’est plus le fjord qu’on voit, mais la ligne d’horizon de la Mer du Nord. Heureusement qu’il y a des cailloux, îles, etc., pour indiquer qu’on avance.

L’exercice de secours avec hélicoptère intervenant sur le ferry rate. Il doit partir, et revenir, comme si. La membre d’équipage affectée au rôle de malade est hissée à bord de l’engin blanc et rouge. Coucou au-revoir d’en haut, et d’en bas mains tendues de smartphones. Tout spectacle est bon à prendre. Ou tout est spectacle à saisir. Le duo guitare et voix s’arrêtera pendant How many roads must a man walk down, et remballera. L’heure, c’est l’heure. Ils auraient dû choisir Stockhausen ou Pink Floyd.

Le bateau proclame sur ses cheminées "We Are Green", car il est au gaz. Les chiffres montrent que c’est un peu exagéré de sa part.

Les filets circulaires par quatre ou cinq près d’un petit port, ce sont des élevages de saumon de Norvège "en pleine mer", pour Noël en France. Or, nous sommes dans un fjord. Passons.

Sur le chemin du retour, l’équipage de Michaux a du mal à trouver des porteurs, ou des rameurs. Meurtre d’un singe. Antisémitisme d’époque, dont on a vu récemment, dans nos actualités, que ça n’a jamais cessé, ce n’est donc pas "daté", ce qui l’est, c’est de le publier. Quoique les clichés semblables lus chez Tesson, sur les gens des pays de l’est, des pays arabes, est publié, promu, invité, et bien défendu si critiqué là-dessus.

Mouettes violemment bavardes, aux cris différents de ceux de Boulogne-sur-Mer ou Saint-Malo, par exemple, une autre langue. Comment se passent les rencontres, y a-t-il traduction ? On dit que parmi un groupe de chimpanzés, il y a un traducteur désigné pour crier à un autre groupe une information d’importance, au Brésil ou en Équateur, justement, près du Napo que descendait, moitié malade, moitié drogué, Michaux. Et non, je n’ai pas plus de relations à faire entre ma lecture et mon voyage, ce n’est pas ça. Je lis, je note, parfois j’oublie de noter, ce n’est pas grave. Moins grave que la fièvre jaune, les morsures de chauve-souris, les araignées épaisses par dizaines découpées à coups de machette pour pouvoir dormir, les poissons-vers du fleuve qui rentrent par les orifices des baigneurs, les piranhas qui se précipitent à la moindre goutte de sang. En réalité, il risquait sa vie.

Extrait d’Un monde sans rivage (Actes Sud, 2019), roman d’Hélène Gaudy, fervente scandinaviste, et n’est pas la seule.

Andrée ouvre le crâne des mouettes et observe leurs yeux pour tenter de comprendre par quel mystérieux mécanisme elles échappent à la cécité des neiges. Il marche, les yeux à terre, un peu voûté, à la recherche du moindre accroc dans le paysage à gratter avec ses ongles, à fourrer dans la poche de sa veste.
[...]
Il ne peut imaginer, Andrée, qu’un jour, la glace ne faisant plus ciment, le panorama se disloquera, entraînant éboulements et coulées de boue, glissement des parois bleues, blanches, tout droit dans les eaux grises, et ce ne sera pas une chute, mais un fracas, un gros son de tempête et d’orage, des explosions multiples naissant les unes des autres.

Encore un fjord. Le bateau s’approche dangereusement de la falaise rocheuse, d’abord pour voir "La grotte des vagabonds", ensuite pour donner à manger à deux chèvres qui trottent sur un plan quasi vertical, enfin pour toucher de la main l’eau d’une cascade. Le commandant est suffisamment habile pour ne pas couler son bateau électrique. Pendant une manœuvre au centimètre près, un bruit de gravier qu’on roule à la pelle métallique me fige, il fallait que ça arrive… Mais ce n’était qu’un vieux chien maladroit qui glissait de toutes ses griffes sur le pont humide. Synchronisation d’angoisses.

On voudrait écrire sur une ville, un voyage, mais c’est réduire à des phrases ce qui ne peut pas tenir dedans. Une nouvelle, pourrait envisager un aspect complet, une facette, un roman donner un portrait. Mais ça ne resterait que des phrases réduisant quelque chose de toujours infiniment plus grand. Alors, pourquoi pas des notes descriptives éclatées ?

Vu de dessous du preikestolen, falaise s’avançant au-dessus des falaises à 604 mètres. Nuage. Les bords aigus sont flous. Là-haut, aucun bras, aucune tête ne se penche. Sol glissant ?

Michaux, son regard blanc, il le dit lui-même, mais ne peut pas s’en défaire, et le contrebalance avec différents outils, comme d’avoir un regard étranger sur l’Europe, ou voir « la femme de l’Indien » comme femme, toujours totalement Autre à l’Homme, et puis il peut écrire par exemple un fragment, en marge d’Ecuador, dans la Pléiade page 247 le C, dont finalement je ne sais plus trop quoi penser, après m’être dit que c’était un regard le moins "blanc" possible. Mais est-ce seulement ça ?

Il y a des individus et des civilisations qui acceptent le maximum possible d’événements de la vie et il a d’autre part des individus et des civilisations qui cherchent des biais le plus possible. Sans doute la pirogue est déjà un biais et il suffisait d’avancer sur un tronc d’arbre, ou à la nage ou se contenter de ce qu’on a autour de soi. Il n’est donc pas de race d’hommes absolument philosophique, puisque toutes ont trouvé et utilisé des engins propres à donner du confort (même la lance est confortable considérée du point de vue de la guerre). Néanmoins, la civilisation blanche contemporaine me paraît la civilisation qui cherche le plus de biais possible : le confort : accommoder l’extérieur à soi pour qu’il convienne à votre intérieur, plutôt qu’accommoder son intérieur de façon que l’extérieur lui convienne. Les Indiens de la forêt sont une race qui a accepté presque tout de la vie. Presque ; ils trouvent seulement qu’elle serait mieux s’il avait un peu moins de fièvre, un moins de souffrance. Oh ! seulement un peu moins. Il peut résister à beaucoup. La civilisation européenne vient dans ses environs, puise dans son stock à biais ; l’Indien vient voir, il y a là des autos, les smokings, des maisons des églises, des tableaux, des machines à écrire. Que les blancs sont bêtes, se dit-il. L’Indien n’a besoin de rien de tout ça, on lui envoie aussi des jésuites, et la vraie foi ; il n’a pas besoin de rien de tout ça ; seulement un peu moins de fièvre. Cependant, dans son grand stock à biais, la civilisation blanche a cherché : QUININE ASPIRINE. Avec un kilogramme de poudre de quinine on est encore nommé roi et je fais le pari de traverser l’Amérique sans difficulté. Les missionnaires ne vont pas autrement aux indigènes. Et pourtant l’Indien est dur à la souffrance. De tous les biais qu’elle possède, c’est la pharmacie européenne qui fait le plus contre les autres civilisations. La souffrance est vraiment la chose que ni l’animal ni l’homme ne peuvent accepter, et ceux qui y ont réussi ce n’a été qu’en perdant les attributs biologiques courants : le saint, par exemple, au prix de son sexe.

L’argument est finalement mis dans la bouche de l’indien par l’auteur français qui le fait parler, et réduit le socle commun des êtres humains de la planète à la douleur physique ; exit la culture, les rites, l’art, toutes ces choses de manière latente forcément supérieure en Europe, en tout cas inexistante en Amérique, puisque l’Indien a sa maison, seulement quelques "biais" mineurs, et la douleur physique.

Preikestolen, image : WP

L’insouciance du touriste.

Avant de connaître les textes d’Henri Michaux, j’avais eu cette réflexion que je voulais me réincarner en touriste japonais, qui de tous les touristes, et pour moi, à cette époque, j’avais, je ne sais pas, 16 ans, étaient les meilleurs touristes, les mieux préparés, équipés (en appareils photo ultra-modernes), les plus riches.

Johanna et son frère, sculpture et street art.

Au musée du pétrole, un film imitant le genre du film psychologique suédois (je ne connais pas si ça existe en norvégien, du style Bergman) pour présenter le rapport complexe des norvégien·nes au pétrole : une mine d’or que le gouvernement a voulu faire retomber sur toute la population, mais un travail risqué, mortellement dangereux (dates d’accidents de plateforme en haute-mer sans doute connues de tous les norvégien·nes), un carburant polluant, un conflit entre générations incarné par un fils qui en veut à son père, et le pardon final après un trajet du fils dans la Ford Mustang de son père pour aller lui parler...

 

 

Dans les librairies touristiques qui proposent des livres en anglais, allemand, français, Actes Sud est très présent, avec des auteurs norvégiens : Les Seize arbres de la Somme (que j’aurais bien voulu lire, moi qui viens de la Somme) de Lars Mytting, Gens de Bergen, de Tomas Espedal...

Dernier jour. Pluie comme jamais. Idéal pour partir. Le chauffeur du bus 42, après le pont au-dessus du fjord, dernière vision, clin d’œil derrière les vitres mouillées, le chauffeur sifflote et lance d’amicaux saluts aux voyageurs, tout en conduisant vite et sans tendresse dans les virages. Il me fait penser au chauffeur de car de Miss Macintosh, My Darling, et je m’inquiète un peu.